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rejets

mardi 19 février 2013

Un garçon naquit un jour par accident. Sa mère, qui aimait faire l’amour sans précautions n’aimait pas beaucoup les enfants. Sa vie se déroula alors dans des maisons, avec d’autres enfants, qui avaient également une histoire familiale particulière.
Il grandit, prit des forces. Quand il se mettait en colère, on le maîtrisait. Puis il fallut le calmer, avec des médicaments, de plus en plus. Il avait dix ans, et son cerveau se fissura.
Mais il ne criait plus, ne se battait plus. Sa salive ruissela désormais de ses lèvres tremblantes sur ses vêtements et par terre. Les tremblements furent soignés avec les médicaments prescrits habituellement pour la maladie de Parkinson.
Ainsi, il s’endormit, volonté emprisonnée, comme la panthère du jardin des plantes de Paris

Son regard du retour éternel des barreaux

S’est tellement lassé qu’il ne saisit plus rien.

Il ne lui semble voir que barreaux par milliers

Et derrière mille barreaux, plus de monde.

La molle marche des pas flexibles et forts

Qui tourne dans le cercle le plus exigu

Paraît une danse de force autour d’un centre

Où dort dans la torpeur un immense vouloir.

Quelques fois, seulement, le rideau des pupilles

Sans bruit se lève. Alors une image y pénètre,

Court à travers le silence tendu des membres

Et dans le cœur s’interrompt d’être.

(Rilke)

Quand il se rendit compte qu’il était enfermé, il tenta de briser les barreaux. Il comprenait que la prison était à l’intérieur de lui-même, et pour se libérer, il s’agissait de la briser en éclats. Bref, il décida de mourir et ingurgita tous les médicaments qu’on lui avait donnés. Il voulait se libérer de sa vie avec l’arme qui l’avait rendue insupportable.

Ce n’est pas qu’il n’aimait pas la vie, mais il haïssait celle qu’on lui avait imposée.

Quand il se réveilla, à l’hôpital, il arracha les tuyaux, les aiguilles, et s’en alla, libéré. Les policiers le rattrapèrent, et l’enfermèrent dans un hôpital mieux surveillé.

Il était une fois un garçon qui aimait les animaux et les bébés. Il les aimait d’une façon telle qu’ils le comprenaient, venaient vers lui, léchaient son visage, tiraient ses cheveux, souriaient. Il adopta de nouveaux parents, c’étaient des cochons. Il parlait aux moutons, aux vaches, aux chevaux, et même parfois aux poules. Il se promenait longuement, se demandant quel animal il était. Il apprenait que la colère est tenace, qu’elle peut attendre longtemps, très longtemps, et ne meurt que difficilement. Il arrivait de mieux en mieux à ne pas fréquenter les lieux que sa colère habitait. Il devenait, par la marche, géographe.

Parfois, on pouvait entendre sa tête qui craquait, tellement il s’appliquait à se travailler. Parfois, il y avait des rechutes.

Mais il grandissait, petit à petit, à côté de ce qu’il avait été, à la façon d’un arbre coupé qui pousse ses rejets.