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la folle du logis ne ment jamais

lundi 22 février 2016

Ce gamin là, arrivé il y a six mois, se pose en fameux professeur de scepticisme. Plus il devient familier, plus sa parole, abondante, éveille le doute. C’est qu’il en a, des histoires à raconter. Il vient de loin. Fanfaronnades, vantardises de gamin soucieux, en épatant la galerie, de trouver sa place. Une place, si possible, enviée. Les superlatifs s’accumulent, les exploits pleuvent. Mais à l’épreuve du quotidien, les baudruches crèvent, les carabistouilles s’avèrent.
On n’en fait pas un plat : l’attitude est commune. Peut-être s’agit-il de récupérer, par l’amplification épique, certaine médiocrité d’existence, d’expérience.
On écoute plutôt distraitement, comme un bruit de fond, les récits héroïques, en attendant que ça passe. En dehors de la vie parlementaire, la déconcentration de l’auditoire fatigue vite l’orateur. Il s’éteint de lui-même.
On ne sera pas surpris d’apprendre que pour couvrir ses petites délinquances, il fabule avec grand soin, construit des échafaudages argumentatifs audacieux, se fait sophiste. C’est à ce moment qu’un chouia d’attention lève le rideau et dévoile la machinerie. S’ils sont parfois valides, les syllogismes mentent. Prémisses incomplètes, approximatives, non vérifiées plutôt que grossiers mensonges, mais ça sonne faux. L’omissions règne : ce que je dis n’est pas faux, mais je ne dis pas tout.
Le petit jeu, à se reproduire, fatigue, puis exaspère. On en arrive à préférer quelque chose de moins jésuitique, moins calculé, un bon gros mensonge invraisemblable, rabelaisien, qui pourrait, enfin, raconter autre chose, une façon d’exister fabuleuse, ou poétique, ou joyeuse.
Car il s’y perd, le petit, dans ses oublis, et les demi-vérités, en s’additionnant, s’annulent, elles le trahissent, dévoilent assez ce qu’il voulait taire pour qu’il comprenne tout seul qu’il est confondu, c’est-à-dire troublé, démasqué. Les mots entraînent dans leur sillage les sens anciens, oubliés. Le dictionnaire étymologique, qui n’est jamais loin, rappelle le sens de confondre en latin chrétien : humilier, couvrir de honte. Et cela, c’est exactement le contraire de ce que cherche l’épateur. On s’en vient mal pour lui, comme cela se dit ici. Parce qu’il comprend que si on ne peut croire une partie de ce qu’il dit, parce qu’il dissimule l’essentiel, par ce scepticisme qu’il nous inculque à fortes doses, nous ne pouvons l’entendre qu’en suspendant notre jugement.
Ce n’est pas le fruit d’un culte de la vérité, dont nous savons qu’elle est changeante, multiple, variable. Ce n’est pas non plus le dépit d’être bernés, puisqu’en pratiquant le doute, on se maintient à distance de cette passion triste. C’est plutôt le sentiment que le langage doit sembler, à la longue, une faculté douteuse s’il ne permet pas de construire une relative complicité. Le malaise peut se trouver augmenté du fait que le petit ne vit dans un foyer où l’on partage les petites duperies envers les éducateurs comme un compagnonnage, consolidant au passage des amitiés toujours fragiles entre pairs. Il s’agit ici de composer, au sens littéraire, et aussi psychologique et social, avec des voisins qui se croisent quotidiennement, se parlent, forment une société complexe.
On retrouve le sourire et la patience en découvrant que les Grecs des temps anciens confondaient allègrement mensonge et imagination. En ne distinguant pas l’un de l’autre, ils relativisent, dédramatisent, neutralisent. Il apparaît ainsi que c’est peut-être le récepteur qui fabrique, éventuellement, le mensonge,. Il pouvait tout aussi bien, avec un hellénisme de bon aloi, opter pour la fable, le produit de l’imagination, qui est bien utile quand il s’agit de se construire une existence.