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la vraie vie

dimanche 21 mai 2017

Il dit « tu sais, je vois bien que c’est sympa, ici, mais le travail manuel, c’est pas pour moi ». Et le lendemain matin, ses bagages sont faits, et il part vers la gare, traînant sa lourde valise à roulette, l’accessoire des aventuriers d’aujourd’hui.

Il n’a pas lu Laforgue, il n’a pas lu Russel. Il ne cultive pas l’esthétique de l’oisiveté. Simplement, il croit que la vraie vie, c’est pas le travail. Et paradoxalement, il la recherche en pianotant nerveusement, en caressant du pouce un téléphone que l’on dit intelligent.

En quelques jours, il a pu goûter au maraîchage, à la cuisine, il a pu comprendre que le privilège de conduire le vieux tracteur se gagne l’outil à la main. Il a apprécié l’aménagement du lieu, dont il sait que chaque détail est né de la main de l’un de ses éphémères voisins. Il ne veut pas de tout cela, il veut vivre.

La marche à pied aussi l’effraie : sa première fugue, c’était pour éviter une randonnée. Elle l’effraie tout en l’attirant, puisqu’il déclarait, le deuxième jour, penser vouloir marcher. Notons au passage la force de ce trio infinitif. Le travail, c’est pareil. Mettons de côté l’étymologie rébarbative. Mettons de côté le spectre de l’exploitation, et conservons un autre sens : le musicien travaille une mélodie ou un accompagnement, ou sa voix. Le paysan travaille sa terre, le sportif son geste, le philosophe son détachement. C’est la transitivité qui charge affectivement le verbe. Je vais au travail, ce n’est pas joyeux. Je travaille ceci ou cela, c’est dynamique, épanouissant, émancipateur. On n’est pas forcément d’accord avec Laforgue : la glorification de la sueur est une morale d’esclave, dit-il. Cela dépend : pourquoi sue-t’on ? Cultiver ses loisirs, ses passions, de façon, éventuellement, tout à fait démonétarisée, hors marché, c’est aussi du travail. Le plaisir de sauter hors du lit, ou d’y plonger, délicieusement fatigué, ce sont les effets de certain travail, sur soi-même ou sur la matière. La tranquillité de l’âme est sa compagne.

Il faut rompre avec l’idée que la vraie vie est ailleurs, réencastrer le travail dans la vie.

T’aider à te travailler, toi, Jean, à travailler ta vie, voilà ce qu’on peut t’offrir. Et pour y parvenir, les meilleurs amis sont ces outils que tu vois rangés dans les ateliers, et ce réveille-matin. Le reste, désolé, virtuel et numérique, il nous semble bien que ça s’éloigne de la vraie vie.