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roland petit : le lycée expérimental de Saint Nazaire

samedi 29 décembre 2007, par

Lycée expérimental de Saint-Nazaire :
Vie quotidienne et institutionnalisation

On présente le lycée expérimental de Saint-Nazaire le plus souvent par l’organigramme de ses institutions internes : groupes de base, groupes de suivi, collèges, conseil d’établissement… Aussi nécessaire qu’il soit de comprendre leur existence, cela ne représente pas le plus important de la réalité du lycée. Comme toutes les institutions, le lycée ne vaut que par son fonctionnement qui en est la véritable quintessence. Autrement dit, la réalité est moins dans l’écriture des règles de fonctionnement du lycée que dans la pratique réelle qui les met en jeu.
Ce qu’on appelait la réification , mot et chose oubliés, est l’objet d’une lutte permanente au lycée expérimental. Elle exige pour les membres de l’équipe éducative une très grande attention, une très grande rigueur dans cette mise en jeu des institutions internes, sans quoi, ces institutions internes pourraient être rapidement vidées de leur contenu.
La nécessité de la rapidité, de répondre en urgence à certaines demandes suffirait à écraser les procédures des décisions et emporterait le lycée vers une co-gestion formelle, de façade (c’est-à-dire à l’institutionnalisation du lycée expérimental, son renversement dans les formes ordinaires des relations entre jeunes et adultes et des méthodes autoritaires d’apprentissage). Les MEE, parce qu’ils sont adultes, ont les « clés » de la relation à l’extérieur et sont tentés de s’en servir, de répondre selon l’idée qu’ils se font de ce qui est bien pour le lycée. La question n’est pas, lorsque cela arrive, que ces réponses soient effectivement bonnes ou mauvaises, la question est que la vie du lycée doit être tissée de cogestion, elle doit l’être tout le temps et à propos de tout. Sans une rigueur de tous les instants, l’habitude que l’équipe ou ses membres prennent des décisions satisfaisantes, et que la cogestion se retrouve cantonnée à certains domaines et seulement à certains domaines, ou à certaines périodes… cette habitude gagnerait vite. Il convient pour les MEE de revenir fréquemment et absolument à cette co-gestion (qui est la raison d’être du lycée, sa « prophétie initiale »). C’est une attention soutenue, permanente. Ce n’est pas seulement l’écriture de cette cogestion dans un organigramme qui en donne la possibilité, il faut que cette possibilité soit accomplie. Il faut aussi que ce qui se passe vraiment, ce qui « coule dans les tuyaux » soit conforme.

La cogestion
Le lycée fonctionne selon la cogestion entre les professeurs et les élèves de tout ce qui concerne le lycée, tant au niveau de « l’intendance », de la base matérielle, que de l’apprentissage. On ne parle pas d’autogestion, le lycée étant un lycée de l’Education nationale, dérogatoire sur de nombreux points mais interne pour son budget et le paiement des salaires des professeurs. C’est en aval et à l’intérieur de cette appartenance que peut se faire le partage égal du pouvoir entre adultes et jeunes, entre professeurs et élèves.
Je prends « pouvoir » au sens du pouvoir de faire les choses, dans un sens plutôt direct, étymologique. A le pouvoir celle ou celui qui peut agir selon sa vision de ce qu’il faut faire, selon la ou les directions qu’elle ou qu’il détermine. L’exercice du pouvoir se voit quand l’action entreprise contraint certains autres qui agissent selon les choix de celles ou de ceux qui ont le pouvoir. Cependant, il n’est pas nécessaire de contraindre pour exercer le pouvoir. La contrainte exercée sur les autres est un marqueur indéniable du pouvoir, il n’est pas nécessaire à son existence, ni à son exercice.
Je prends pouvoir comme attribut et comme relation en même temps et ne choisis pas entre ces deux dimensions. Au lycée expérimental, le pouvoir comme attribut comprend des fonctions électives et passe donc de mains en mains, tant du côté des élèves que du côté des MEE, dans une périodicité d’échange courte, grosso modo six ou sept semaines ; le pouvoir comme relation se crée par la participation au lycée et l’acceptation de ses règles et des décisions prises.
Je parle de fonctions électives au sens de choix mais il n’y a peu ou pas de votes. Les décisions se prennent « au consensus » (et non à la majorité « comptée » dans laquelle chacun exprime clairement son choix entre des options détachables et présentées en termes exclusifs les unes des autres). La discussion se poursuit jusqu’à ce que les critiques, divergences… s’estompent, soit qu’elles entrent dans une proposition bâtie par la discussion, donc, soit que certaines propositions soient écartées par manque de force, d’intérêt ou par conviction qu’elles sont moins prometteuses que celle « centrale » choisie ou bâtie. Devoir recourir au vote, quand cela devient nécessaire, est mal vécu : c’est une sorte d’échec de la recherche du consensus par les (longues) discussions. Le seul vote pratiqué et revendiqué comme tel, est la cooptation d’un nouveau MEE par les MEE ; de plus, il est secret.
Toute la vie est réglée, produite par les collectifs et la confrontation permanente des personnes, des groupes, des idées. Personne ne détient plus qu’un autre l’ordre du jour, le centre d’intérêt, l’ensemble des questions pendantes, la problématique, c’est-à-dire le classement des questions par ordre de leur urgence, leur rassemblement dans une ou quelques questions générales plus larges…

La constitution du lycée
C’est l’organigramme qui présente en général le lycée .
Cette constitution est décrite en deux dimensions, deux courants : l’institutionnel et le pédagogique. Ces deux courants se rejoignent par le fait que la pratique institutionnelle (gestion et participation aux décisions) est un apprentissage en soi et que la pédagogie a, en principe, pour but la perception citoyenne de la vie et la participation citoyenne aux décisions du monde, ce que réalise, aux dimensions du lycée, la cogestion institutionnelle.
Les décisions se prennent dans des institutions internes, qui disposent de « moments » de réunion et d’action.
Je vais présenter cette constitution des institutions internes du lycée, par le chemin des décisions.
C’est le Conseil d’Etablissement (CE) qui crée les décisions.
Le CE est constitué de deux MEE et de six élèves. Chaque MEE a trois voix et chaque élève une. Il y a donc égalité numérique des voix entre les élèves et les MEE. Collectivement, élèves et adultes-professeurs sont égaux. C’est la base de la cogestion, le principe indiscutable, la « prophétie ».
Le CE se réunit au moins une fois par semaine et fournit un compte-rendu de ses réunions. Les réunions du CE sont publiques, les non-élus ne peuvent pas y prendre la parole. Le CE est toujours légitimé dans son temps de réunion (pas de quorum). Les MEE sont toujours présents. Un MEE obligé de s’absenter pour une réunion dans le temps de son mandat se fait remplacer. Les élèves utilisent moins ce droit non-écrit qu’ils ont également (ils anticipent moins, ils organisent moins leur vie).
Le compte-rendu est affiché dans le hall d’entrée, en format A4 corps 12, et en photocopie A3 agrandie. Un certain nombre de « choses » se passent dans le délai de production de ce compte-rendu, « choses » intentionnelles ou non. On suppose que personne ne contrôle ce délai à des fins de favoriser, voire d’obtenir une certaine décision. Cependant, il peut y avoir des malentendus, dus notamment à la prise de décision par consensus : parfois, la réunion a l’air unanime, le ton est paisible alors qu’en fait tout le monde n’est pas sur la même longueur d’onde, et si l’on sent bien que la décision est là, tout le monde ne parle pas de la même décision. Il arrive qu’un membre du CE ait compris que le CE avait pris telle décision et que le compte-rendu rédigé en général par un des MEE et quelques élèves en annonce une autre. C’est évidemment le compte-rendu, qui est visé rapidement et de façon informelle par le plus grand nombre des membres du CE, c’est le compte-rendu qui vaut en cas de désaccord.
N’importe qui peut saisir le CE par une simple lettre. Arrivent aussi au CE des demandes émanant de l’extérieur.
L’ordre du jour du CE est donc constitué de lettres de demandes. Il faut se représenter aussi le type de décisions qui sont prises ainsi. En voici quelques exemples :
Faut-il acheter des livres avec les subventions des nouveaux Conseils régionaux de gauche à hauteur de 150 € ? Cela correspond-il à notre pédagogie ? Cela ne nous entraîne-t-il pas vers une pédagogie traditionnelle, comme un cadeau empoisonné ? (Question générale)
Une élève demande que le lycée arrête les cours le vendredi à midi car elle « doit » partir tôt pour profiter du tarif SNCF « 12/25 ». (Refusé, évidemment)
Achat de matériel photo…
Subvention pour un déplacement de 14 élèves à un festival de théâtre à Bayonne…etc. (Il y a une habitude de subventionner les déplacements pédagogiques à hauteur de 50% du coût).
Il faut se représenter aussi le style souvent « fleuri » de la plupart des lettres qui proviennent du lycée, surtout dans les formules d’entrée, style qui fait du CE une personne, qui s’amuse du pouvoir de ce dernier, et, en symétrie, de la « servilité » de la démarche que fait l’auteur ou les auteurs… une sorte de mise en dérision qui n’empêche pas le sérieux de la demande. Une apostrophe fréquente est : « Cher CE ». Quelquefois, des formules plus alambiquées : « CE de mes amours, le plus beau, le plus fort… Nous sommes heureux de vous présenter la naissance de la commission photo… » (suit une demande d’achat de matériel) ou encore, inversé en dérisoire : « Tout d’abord, je tiens à m’excuser pour ce bout de feuille découpé n’importe comment, c’est du recyclage… »
Pour une analyse du fonctionnement réel du lycée, il faut noter que le passage vers la décision du CE se fait le plus souvent par cette légère moquerie de l’obligation de devoir le faire et d’un détournement poético-politique du formalisme ordinaire demandé dans ce genre de démarche.

Si le CE estime ne pas avoir assez d’éléments pour décider, il renvoie aux collèges. Il peut aussi renvoyer aux collèges juste pour faire savoir à tout le monde la décision en cours, même quand elle n’est pas difficile à prendre (par exemple, une visite d’élèves du collège de la Septième Ile à Brest, établissement innovant).
Les élèves sont constitués en collège et les MEE aussi. Les deux collèges (séparés) se réunissent en même temps, sur le même ordre du jour, avec les mêmes informations et émettent un avis. Les adultes sont interdits de séjour à la réunion du collège élèves et réciproquement. L’ordre du jour des collèges est établi par le CE. Le collège élèves se tient en plusieurs réunions, dans plusieurs salles ouvertes et peu éloignées. Tout le monde est membre permanent soit du collège élèves, soit du collège MEE. Chaque collège est toujours légitimé (pas de quorum).
Les collèges établissent une égalité entre les élèves comme groupe et les MEE comme groupe. Ces deux groupes sont égaux. Ce qui fait que, du point de vue d’une arithmétique démocratique, un élève pèse moins qu’un MEE.
C’est le CE qui fournit l’ordre du jour des collèges qui se réunissent une fois par quinzaine.
Les avis des collèges arrivent au Conseil d’Etablissement, par les délégués MEE et élèves, qui sont présents aux débats de leur collège. On peut dire que, du point de vue des débats et arguments, les collèges dilatent le CE, ou que le CE concentre les collèges et concentre les débats jusqu’à leur fixation dans un point unique : la décision. Le CE a un mandat impératif, ou au moins semi-impératif : il ne représente pas le lycée comme les députés représentent les électeurs, quoiqu’il fasse pour une période donnée ; le CE doit synthétiser les avis des collèges, c’est l’aspect « impératif » de son mandat ; il est responsable de l’interprétation des avis des collèges, (ainsi que du choix des questions… de la décision ou du renvoi aux collèges), ce que j’appelle l’aspect « semi » impératif de ce mandat.

Les groupes de base représentent l’exécutif.
Chacun, élève ou MEE, appartient à un groupe de base, qui se réunit tous les quinze jours. Ce qui signifie que tout le monde est de gestion en permanence. Ce qui signifie que chacun est en cogestion en permanence. Six groupes de base constitués d’une trentaine d’élèves et de trois MEE, les triplettes de base, sont la structure élémentaire du lycée, la « brique » et la description du lycée commence par là, en général.
Chaque groupe de base passe en « gestion » à tour de rôle, par séquence de quinze jours : il assure le secrétariat, répond au courrier, au téléphone, accueille les visiteurs, les stagiaires, transmet certaines demandes au CE, organise l’emprunt du camion, les utilisations extra-ordinaires de certaines salles… Il doit faire le repas de la cantine (2,30€ prix fixé par le CE), inscrire les convives le matin. Il doit organiser la cafétéria appelée casbah (cafés, thés aux pauses… petite restauration…) et être présent à la doc (CDI), s’occuper des bugs informatiques, de la photocopieuse… faire le ménage des parties communes, (wc compris)…
Les délégués des élèves au CE sont nommés en réunion de Groupe de Base, à la parlante, « qui veut le faire ? », « qui ne l’a pas fait depuis longtemps ? » La durée du mandat couvre, en gros, six semaines, le temps d’une « petites vacances » à une autre (de la rentrée à Toussaint… de Toussaint à Noël etc.). Ce mode de nomination oral et informel contient les approximations dont j’ai déjà parlé. Par exemple, un élève vient me voir une fois, au moment du CE et me demande « s’il est de CE, il croit que c’est lui, mais il n’est pas sûr. »

Cette organisation du lycée permet certains débordements, certaines pratiques déviantes, dans un sens technique de ce terme, comme toute organisation. Par exemple, un élève, l’an passé, pour une décision « urgente » pour lui : créer un espace d’expressions picturale et scripturale pour tous. Il passa rapidement vers chacun des membres du CE qui n’y virent pas d’inconvénient. Il estima que le CE lui avait donné l’autorisation et il monta un dispositif de « dépression libre » (une sorte d’isoloir pour peindre et pour écrire, qu’il fournit en papier, peinture, pinceaux… et qu’il plaça dans le hall d’entrée), il publia les résultats à la photocopieuse une quinzaine de jours plus tard après avoir enlevé son dispositif. Rien de dommageable réellement dans cette pratique et le CE aurait très certainement accepté sa demande. Cependant, même si tous ses membres du CE sont d’accord, il peut sortir de la réunion des motifs de désaccord, la réunion est plus que l’addition des points de vue de ses membres.

D’où la nécessité d’un retour pointilleux à ce qu’on appelle la « prophétie initiale », en en examinant tous les aspects et facettes, retour pratiqué et garanti, je dirais, par les MEE (ni ce retour pointilleux, ni cette garantie ne font partie de la constitution). Cette prophétie, la cogestion, ne peut souffrir aucun manque, aucune lacune, quand bien même la lacune en cours ne provoquerait par elle-même aucun dommage réel.
On pourrait qualifier cette organisation, cet appareil, de moteur du lycée. Il doit faire fonctionner le lycée comme centre d’apprentissage dans lequel on peut, sans que ce soit obligatoire, passer le bac.
Il y a une dissymétrie fondamentale, pratiquée et difficile à bien penser : les MEE se réunissent en équipe (c’est de là que vient leur nom) et ont des prérogatives non partagées et mal définies .
Plusieurs points qui valident cet état de fait semblent être dans une base matérielle, incontestables et inchangeables :
les MEE sont payés par l’Etat selon les règles nationales en vigueur, et les élèves non. Les élèves sont financés comme les élèves en général, par leurs parents, et les petits boulots, cueillette des fruits, centre de loisir du mercredi… Ils ne gagnent rien financièrement parlant en venant au lycée, ou n’y venant pas… Leur absentéisme est impossible à un MEE.
Les MEE sont responsables de la sécurité des élèves, la réciproque n’est pas vraie. Les MEE ne peuvent passer le volant du camion à un élève qui aurait le permis, par exemple. Il ne peut pas y avoir de cogestion du camion. Ils sont responsables du comportement des élèves, notamment par rapport à des problèmes attribués à la jeunesse, comme la consommation du cannabis qui atteint tous les lycées.
Leur extension (ou leur maintien dans ces limites) est informelle, flottante, aléatoire… pragmatique.

Par exemple, des débats récents, menés par le CE, et qui sont passés par les groupes de base et les groupes de suivi (dont je n’ai pas encore parlé), qui sont passés par des écrits, des propositions émanant d’individus…ont abouti à la création dans le temps de la réunion d’équipe, le lundi, d’une « RCE » Réunion commune des élèves, symétrique à la réunion de l’équipe éducative… La première réunion de cette RCE eut lieu le 7 mars 2005, avec pour ordre du jour, la manifestation lycéenne du 8 mars et la « définition » de cette RCE. Il n’y avait pas besoin d’une institution permanente du lycée pour que les lycéens organisent leur participation à la grève et à la manifestation. Les élèves ont déjà les collèges pour se réunir sans adultes. La symétrie saute aux yeux mais la validation institutionnelle de cette symétrie ne me paraît pas juste en droit, je dirais. Les élèves ont décidé de s’occuper de l’image de marque, de la communication du lycée à l’extérieur. En effet, dans les Centres d’Information Jeunesse, Centres d’information et d’orientation et les conseillers d’orientation psychologues …etc. on ne connaît pas bien le lycée et on envoie des élèves en perdition, quand il n’y a plus rien pour eux. En outre, le lycée est cité à tort et à travers pour justifier toutes sortes de discours. Son image est instrumentalisée pour des causes qui ne le concernent pas. Il en résulte une influence sur la motivation de ceux qui s’y présentent pour y continuer leur scolarité. Des élèves qui souhaiteraient apprendre en cogestion ne sont pas informés de son existence ni de son fonctionnement ; des élèves y viennent trop souvent par défaut, décrochés et rejetés partout depuis longtemps, à peine informés de la cogestion. Les élèves semblent vouloir prendre en charge pour leur part une information cohérente et active du lycée à l’extérieur. Cette RCE s’est modérément réunie jusqu’en juin 2005 et n’a pas redémarré à la rentrée…

Le moment pédagogique
Toute cette architecture institutionnelle mouline la formation des élèves.
On discute souvent pour savoir si l’appellation « lycée » représente bien le lycée expérimental . Il est bien dit que le projet bac pour les élèves n’est qu’un des projets possibles. Bien des élèves sont là pour apprendre et progresser personnellement, sans objectif utilitaire à cette formation. Il y a deux élèves cette année qui ont déjà le bac, dont un qui voudrait en avoir deux, (le repasser dans une autre filière).
Les modalités du travail des élèves appartient à l’Equipe. Elles varient d’une année sur l’autre.
Une part du travail se fait par des ateliers qui occupent les matins. Un atelier est défini par la règle « un thème, un groupe, un temps ». Cette année, les ateliers durent 24 heures. Il y a deux types d’ateliers : les ateliers spécifiques qui explorent le programme, traitent un ou deux chapitres de façon intensive et sont mis en place par l’équipe. Des ateliers « transversaux » (ce mot n’est pas employé) dont les thèmes viennent du lycée. Voici par quel chemin :
 un titre d’atelier (au moins un titre, il peut y avoir un court développement) est déposé dans une « boîte à idée » (placée au secrétariat) ; il doit être signé et daté, il peut provenir d’une personne, d’un groupe « nominal », d’un groupe institutionnel (d’un atelier, d’un groupe de base, d’un groupe de suivi…) ;
 un groupe de base relève la boîte tous les quinze jours et choisit le nombre qu’il faut (deux ou trois en général) pour la séquence où ce groupe sera de gestion, c’est-à-dire pour le temps où ni les MEE ni les élèves de ce groupe iront en atelier. Il place les MEE sur les sujets, en coordonnant les doublettes ; deux ou trois MEE sont « volants » à chaque période, ils n’ont pas d’atelier et sont disponibles à toutes sortes de demandes, gestion ou pédagogie ;
 dans une case horaire « programmation », les MEE et les élèves intéressés par l’atelier se réunissent et affinent leur projet, posent la problématique, imaginent la méthode, les sorties, l’appel aux intervenants extérieurs et leur « rendu »… ils rédigent une affiche format A3 qui sera exposée dans le hall sur un tableau consacré à cela.
Il n’est pas rare que les élèves en programmation ne viennent pas à l’atelier et que l’atelier se reprogramme pour une part importante dans sa première séance.
Voilà l’offre sur une séquence : Réaliser des affiches (inspiré par une expo d’affiches polonaises au Fanal, scène nationale de Saint-Nazaire), Sciences Economiques et Sociales (1ères comptabilité nationale, politique économique), « Voyage » (virtuel) en Irlande, Math (1ère L), Philosophie, Ecrire du théâtre.
Les après-midi sont centrées sur ce que l’équipe a appelé le LEDAP : Lire, Ecrire, Débattre-Argumenter, Produire. Le LEDAP est fondé sur l’activité de l’élève, on peut le voir comme des Travaux dirigés, ou comme ce qui s’appelle souvent « méthodologie ». Chaque élément (lire, écrire…etc.) a une case horaire dans laquelle les MEE proposent des modalités pour une période (d’une vacance à une autre). Sauf Produire qui concerne des activités artistiques menées à l’année et qui aboutissent à des spectacles joués parfois à l’extérieur et sont l’objet des systèmes de partenariats (DRAC, avec des interventions de compagnies de danse, de théâtre… Inter-arts et Jumelage).
Des moments sont consacrés aux niveaux (Détermination, Première et Terminale). Le premier niveau est nommé détermination et non seconde, car certains élèves arrivent au lycée après des périodes de déscolarisation plus ou moins longues, et doivent se refaire un projet scolaire, certains élèves n’ont pas le projet de passer le baccalauréat, ils cherchent une formation générale, un travail d’apprentissage informel…
Il y avait, l’an passé un « quatrième groupe » pour ces élèves qui ne vont pas vers le bac ; ce « quatrième groupe » était très attractif mentalement, les élèves voulaient s’y inscrire dès qu’ils se sentaient un peu découragés par le travail à accomplir pour obtenir le bac et… très peu fréquenté. En mettant ces élèves « hors bac » avec ceux qui sortent de troisième, et qui parfois se refont une « santé scolaire », ils sont plus à l’aise et travaillent plus et mieux.
Ces cases horaires de groupe de niveau comprennent des réunions de régulation (de l’avancement du travail) et du travail sur les programmes (hormis la détermination qui n’a pas de programme précis). Les disciplines ont des cases horaires pour suivre le programme et l’ajuster eu égard aux modalités interdisciplinaires des ateliers qui amènent une progression irrégulière et discontinue.

Le groupe de suivi
A la jointure du pédagogique et de l’institutionnel, se trouve le groupe de suivi. Dans la présentation du lycée par l’organigramme, il apparaît comme un groupe de base plus précis, plus près de l’élève, plus personnel, plus psychologique... en effet, il est issu du groupe de base qu’il divise en trois : un MEE et dix élèves.
Du point de vue dynamique choisi ici, cette déduction dans la formation des groupes ne s’étend pas exactement à leurs rôles et fonctions : le groupe de suivi est l’institution d’évaluation de la scolarité de chaque élève, de sa participation à la gestion matérielle (et idéelle) du lycée. Le projet d’apprentissage personnel est-il tenu, change-t-il, en quoi, s’il n’est pas tenu pourquoi, qu’est-ce qui se passe à la place, ce qui se passe ne va-t-il pas vers la définition d’un autre projet ? et lequel ?
Le groupe de suivi est la cogestion de l’évaluation, pendant de la cogestion des apprentissages et de la cogestion de la base matérielle (cette dernière dimension de la cogestion appartenant principalement au groupe de base).
L’appartenance au lycée se fait par une adhésion quotidienne, c’est-à-dire la participation aux activités. Elle est positive, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de sanction négative. Le manque de participation, voire de présence, se règle en groupe de suivi (avec information au groupe de base et débats en aller-retour si nécessaire) : on rappelle l’élève manquant, par téléphone, puis par lettre, lettre aux parents, demande d’explications des absences, puis désinscription. La procédure n’est pas fixée, elle suit les grandes lignes décrites ci-dessus mais appartient dans le détail à chaque groupe et à chaque élève en cause, à chaque cas particulier.
La désinscription est donc également cogérée.
L’inscription est effective après une visite du lycée ou un stage. Les visites durent une heure environ. L’élève, accompagné d’un des ses parents (même s’il est majeur), est accueilli par au moins un élève et un MEE, pris, en général, dans le groupe de base de gestion. Il entend un descriptif des institutions internes, comme ci-dessus, exprimé avec la singularité de chacun et la singularité du moment… il voit la vie du lycée, telle qu’elle est ; il est dans les locaux, qu’il visite évidemment ; il pose toutes les questions qu’il veut, son parent aussi… Il prend connaissance du projet, de la constitution et déclare y adhérer et vouloir faire fonctionner le lycée. Il présente un projet personnel qu’il devra écrire. Le stage est la réception d’un groupe d’élèves intéressés. Les stages sont organisés par le groupe de gestion. Les élèves entrent dans les ateliers, dans les groupes de niveau, qui sont prévenus et donnent ou refusent (rarement) leur accord. Le groupe de suivi reste confidentiel et fermé. Les élèves en stage peuvent participer, modérément, à la gestion ou à un moment d’atelier, une sortie, le passage d’un intervenant, une recherche spécifique…

Le pouvoir, dans ses deux sens, attribut et relation, traverse cette organisation qui vise clairement à le réattribuer sans cesse au collectif.
On peut dire que le pouvoir commence dans les modalités d’apparition des situations insatisfaisantes qui nécessitent un traitement analytique, suivi d’une ou de plusieurs décisions. Dans cet aspect très « à la source du parcours d’une décision », qu’on pourrait appeler « législatif », le lycée expérimental de Saint-Nazaire est en démocratie directe : tout le monde peut écrire au CE. Les collèges et ses débats sont de la démocratie directe, codifiée cependant (il y a un moment, une heure et des salles). De part le fait que l’ordre du jour des collèges est fait par le CE, il s’agit aussi d’une démocratie indirecte et représentative. Le CE lui-même est dans une démocratie représentative à rotation rapide. Il doit synthétiser la démocratie directe. Il n’y a pas de partis au lycée expérimental.
En poursuivant la perspective démocratique instituée dans la division du pouvoir proposée par Montesquieu, les groupes de base ont le pouvoir exécutif en permanence. Ils passent à tour de rôle « en gestion » (deux ou trois quinzaines par an) assurant la base matérielle du lycée et l’application des décisions du CE. Les groupes de niveau ont le pouvoir exécutif en pédagogie exclusivement.
Il n’y a pas de réel pouvoir judiciaire. L’adhésion est positive et la sanction négative d’exclusion n’existe pas vraiment. La désinscription quand elle est bien conduite n’est pas imposée au désinscrit. Les groupes de suivi ont un pouvoir judiciaire en pédagogie (l’évaluation). Pour la part où les groupes de base participent à la désinscription, ils ont une part du pouvoir judiciaire.
Ces catégories si claires en démocratie puisqu’elles sont établies pour organiser leur séparation, leur indépendance, sont éclairantes mais ne s’appliquent pas automatiquement. Il y a superpositions et chevauchements.

La veille
Ce dispositif est contraignant et est l’objet d’une veille attentive à le respecter toujours et ne pas accepter de dérogation. Parfois, et surtout au début, on a l’impression d’une rigueur qui confine à la rigidité, et qui contraste avec l’idée que l’on se fait d’une pratique associée à l’esprit libertaire.
Par exemple, le lycée est toujours représenté par un élève et un MEE. Le lycée a refusé de participer à une rencontre « interlycéenne » organisée par la région (nouvellement à gauche, comme chacun sait) et qui comprenait une journée des profs (conférences, débats, ateliers) et une autre, du même type, avec des élèves.
Evidemment la tentation est grande de prendre une occasion de parler du lycée « nous-même », sans intermédiaire, de se présenter au public et d’aller à la rencontre des jeunes de la région, de les attirer ainsi, de prendre une tribune de recrutement direct. Cependant, la rigueur institutionnelle amène les élèves et les MEE à ne pas rompre avec la « sacro-sainte » cogestion, qui est un impératif inaliénable.
Je préfère préciser que je décris là un effort, vécu comme constitutif de la participation au lycée cogéré par la plupart des MEE et que je ne dis pas que cet effort est toujours gagnant. Il y a nécessairement des oublis, des fatigues, des manques de perspicacité…
Cette rigueur, très grande, est critiquée par certains MEE, par certains élèves au nom de son excès même. Il est facile de défendre que la vie est plus souple, que la vitesse a un intérêt, que l’on perd de l’opportunité, comme dans l’exemple ci-dessus (qu’on se tire une balle dans le pied dans ce genre de cas), qu’on « n’en mourra pas », que, pour une fois… Il faut un certain temps, quand on arrive, pour percevoir l’intérêt de cette vigilance et se mettre à la partager. Cette année, un nouveau MEE voulait faire décider par l’équipe éducative l’achat d’un éplucheur pour la cantine, argumentant que c’était peu de chose dans un domaine « périphérique » par rapport au lycée et ses buts. Ce fut refusé au nom d’une exactitude, de la rectitude cogestionnaire, c’est-à-dire qui ne pouvait pas organiser sciemment d’exception et qui devait rattraper le plus rapidement possible les écarts repérés.
Les élèves renverraient bien définitivement aux adultes un certain nombre de problèmes qui les dépassent (qui les angoissent, c’est bien normal, ou qui les ennuient, ou qui ne leur paraissent pas dans le domaine de compétence des jeunes en général dans la société). Symétriquement, les élèves s’accapareraient volontiers certaines décisions qui les exaltent ; ils estiment parfois qu’on ne les a pas réellement écoutés puisqu’on n’a pas choisi leur avis et que, donc, on n’est pas réellement en cogestion ; de là, l’accusation que les MEE sont des menteurs et que le lycée est une vaste hypocrisie… arrive vite. Ces argumentations qui resurgissent de temps à autres et ne sont pas dénués de fondement, (il y a une dissymétrie fondamentale entre les élèves et les MEE) amènent un rappel des grandes et petites définitions de la cogestion… une sorte de rappel à la loi, qui n’est pas fait forcément par un MEE, mais peut être fait par un ou quelques élèves ou quelques élèves et quelques MEE conjointement. Ce rappel quand il se produit est un analyseur. L’institution poursuit sa vie en rappelant ses règles dans les grands principes et dans les projections de ces grands principes dans les détails. Je dis pas, comme L. Colin et R. Hess, dans l’article déjà cité, à propos de l’OFAJ, que le lycée « falsifie la théorie de l’effet Mülmann ». Je dis que l’effort pour garder la cogestion comme règle de fonctionnement est permanent, attentif, et je ne craindrais pas de dire obsessionnel.
Chaque acte du lycée est un acte cogéré, ce qui n’est pas donné seulement par les institutions qui le permettent mais aussi par la volonté de chacun de garder le lycée dans cette injonction instituante permanente.

Roland Petit

Bibliographie

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Etienne de La Boétie Le discours de la servitude volontaire Payot 1976
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Boumard Patrick Les savants de l’intérieur A Colin 1989
Patrick Boumard et Ahmed Lamihi, (sous la direction de) Les pédagogies autogestionnaires Ivan Davy Editeur, Vauchrétien, 1995.
Gabriel Cohn-Bendit, Lettre ouverte à tous ceux qui n’aiment pas l’école Ed little big man, 2003
Michel Crozier, Erhard Friedberg L’acteur et le système Les contraintes de l’action collective Seuil 1977
Ahmed Lamihi De Freinet à la pédagogie institutionnelle ou l’école de Gennevilliers Ivan Davy Editeur, Vauchrétien, 1994
René Lourau Analyse institutionnelle et pédagogie Epi Editeurs 1971
J. r. Schmid Le maître-camarade et la pédagogie libertaire Maspero 1971

Actes des rencontres autour des 20 ans des collèges lycées expérimentaux 1982-2002 document ronéoté
Régis Bernard, Jean-Paul Closquinet, François Morice, Chronique ordinaire d’un lycée différent Editions Closquinet 2004
Rencontres avec Sarajevo Récits de voyage à vingt-huit mains Lycée expérimental de Saint-Nazaire 2000-2001

Xxx La vie du lycée est rythmée par les séquences, séquences de quinze jours en général, pendant lesquelles un groupe de base est « de gestion » (secrétariat, cuisine, documentation (bibliothèque) et casbah (cafétéria)). Les périodes courent d’une vacance à une autre. Certaines séquences durent une semaine à cause d’un nombre impair de semaines dans la période.xxx