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Chronique indienne

Pédagogie Nomade au Rajasthan : carnets de route

samedi 12 janvier 2008, par Antoine Janvier

Au jour le jour, ou de façon plus relâchée, ce que les quatre nomades découvrent...

Des questions ? N’hésitez pas ? les poser en "répondant ? l’article", vous aurez, si c’est faisable, une réponse du Rajasthan.

7 janvier 2007
Delhi : Hindoustan Times

Rendez-vous avec la responsable des thèmes « education ». On se rend compte que Barefoot College, but essentiel de notre voyage, semble peu connu en Inde. Elle est intéressée par une nouvelle rencontre à notre retour.
C’est aussi une double prise de conscience : d’abord, il va falloir doper notre basic english pour gagner en efficacité. Ensuite, la presse indienne semble davantage intéressée par les faits divers, les potins mondains, et surtout le cricket.

8 janvier : Times of India

Là, on est plus ou moins éconduits, mais on nous donne l’adresse électronique du Service « education ».
Pourquoi ces contacts avec la presse nationale ? Ma foi, si on peut rendre aux futurs amis du Barefoot College le petit service de leur faire écho en leur propre pays, au moyen de notre modeste « regard persan », pourquoi pas ? En effet, nous commençons à mesurer l’efficacité du dossier « Pédagogie Nomade » paru dans Le Soir

9 janvier : Pushkar

On prend la route pour Pushkar, Rajasthan.
Arrivée peu avant la tombée du jour, et émerveillement. La ville s’organise sur les rives du lac sacré (une larme de Shiva) en gats et ruelles enchevêtrées. Tout autour, un cercle de collines, dont certaines sont surmontées elles aussi d’un petit temple, elles-mêmes cernées par un paysage aride.

10 janvier : Pushkar

C’est bien de se poser, découvrir la ville et les environs, prendre la température, le tempo, capter les sons, les couleurs, les odeurs.

11 janvier : Tilonia

Départ le matin pour Tilonia, Barefoot College. « Welcome, you are our guests ! ». L’accueil est souriant et décontracté, et tout de suite une visite des campus, l’ancien et le nouveau, nous est proposée. Le guide souriant nous emmène des panneaux solaires (production d’énergie pour tout le campus) au théâtre de marionnettes (média traditionnel utilisé dans les villages à des fins éducatives), en passant par les ateliers où sont fabriqués les outils didactiques pour l’enseignement des sciences, des mathématiques, l’atelier des tisserands, l’exposition d’artisanat. La récupération et l’imagination sont au pouvoir.
Nous rencontrons des groupes de femmes (Bouthan et Mauritanie) en séjour à Tilonia pour des formations de maçons, techniciens en informatique, en maintenance d’installations solaires. Une fois formées, elles retourneront vers leurs inaccessibles villages, pour propager à leur tour leur savoir-faire.
Le repas, cuit au four solaire, rassemble les visiteurs.
Juste après, Bunker Roy nous reçoit. L’homme est impressionnant d’énergie et affable. Selon certains clichés, l’Inde est caractérisée par une certaine indolence de ses habitants. Manifestement l’homme a compris comment rendre cette lenteur efficace. Coup de bol, on le rencontre juste avant son départ pour le Malawi, afin d’établir de nouvelles connexions avec des projets africains de développement rural. Il apprécie, c’est évident, la philosophie de la démarche, participante et documentée. Il a le temps de nous confier que tout ce qui s’écrit sur son projet est bien approximatif, voire négatif. On en saura plus lundi, avec “the true story of Barefoot College”.
Nous rendons visite au passage aux écoliers et enseignants de l’école primaire toute proche, où on nous assure que nous sommes bienvenus.
Ce sera dès lundi, début d’un séjour dont nous ne connaissons pas encore la durée.
Fin de journée, nous recevons un message de Bunker Roy, enchanté de la rencontre, dit-il, nous annonçant qu’il réserve un mur de BC pour un atelier Tag animé par Adrien, avec le souci de conserver une trace (filmée aussi) du passage des Belges.


2) Du 14 au 22 janvier : séjour à Tilonia (Barefoot College)
Ajouté le 24 janvier

Pour faire simple, nous reproduisons ci-dessous le texte fourni par Bunker Roy au Monde Diplomatique en 2000 en caractères "normaux", et intercalons en "italiques" nos commentaires entre ses paragraphes, pour achever par une conclusion générale. Notons au passage que Bunker Roy assure ne jamais avoir fourni ce texte au Diplo… et était très surpris d’en recevoir une copie. Il nous a accordé deux entretiens, et pour le reste, nous avons vérifié sur place et dans les villages les informations, les recoupant avec les dires d’acteurs du Barefoot College, ceux de visiteurs réguliers, des compagnons de route, en somme, et ceux villageois eux-mêmes, dans les limites de notre anglais approximatif (et du leur) et de notre méconnaissance de l’hindi, du marwali (le dialecte local, mais avec de la patience, les gestes et le dessin, il y a moyen de faire.

L’Inde invente le « collège aux pieds nus »

Tilonia, petit village du désert du Rajasthan situé à quelque 400 kilomètres au sud-ouest de Delhi, est le théâtre d’une expérience éducative sans égale. Le « collège aux pieds nus » mobilise les compétences, le savoir et l’expérience pratique des villageois eux-mêmes pour faire face aux besoins essentiels de la communauté : l’éducation, l’eau potable, l’emploi, la santé, l’habitat, l’alimentation, l’éclairage, le combustible et le fourrage. Leur action a transformé la centaine de villages autour de Tilonia, répartis sur une superficie de 500 kilomètres carrés, en un centre de développement bourdonnant. Des « ingénieurs aux pieds nus » responsables des panneaux solaires côtoient des « mécaniciens aux pieds nus » chargés des pompes hydrauliques. Un parlement des enfants, des soins de santé, des possibilités d’emploi et quelque 150 écoles du soir dans les 89 villages alentour ont vu le jour.

Ça, c’est l’introduction. Tous les points énumérés sont détaillés et commentés ci-dessous. Pour information, Tilonia est une localité assez étendue qui compte environ 20000 habitants. C’est une région très rurale, très aride, mais qui permet malgré tout le développement d’une agriculture essentiellement pastorale : chèvres, vaches, moutons. Barefoot College s’organise en deux campus : l’ancien et le nouveau, comme il se doit. L’ancien abrite les ateliers (artisanat, matériel pédagogique, réflecteurs solaires, tissage, …) et le nouveau les postes administratifs et de gestion, la poste, l’auberge, un espace de spectacle,une bibliothèque, un centre de reprographie, des salles de réunions, un dispensaire, une salle de projection et les installations solaires, qui assurent l’énergie de tout le campus.

Pour concevoir les écoles du soir, il n’a pas été nécessaire de faire conduire des études approfondies par des consultants extérieurs et de dépenser par la même occasion des fonds qui pouvaient bénéficier directement aux enfants. Il n’a pas non plus été nécessaire de se mettre en quête de réponses d’« experts » ni de discuter les mérites et les inconvénients de nouvelles idées ou de nouvelles approches. La réponse se trouvait au sein même de la communauté rurale, parmi des villageois sans diplôme ni bagage universitaire qui, au contraire des experts en éducation, ne voyaient pas l’intérêt de faire compliqué quand on peut faire simple.

Et effectivement, on fait simple. A raison de trois heures par jour, les enfants sont amenés sur les chemins de la lecture et de l’écriture par des professeurs formés en trois mois au Barefoot College, et payés 1000 roupies par mois, soit moins de 20 euros. Pendant les mois d’été, au cours desquels les enfants sont réquisitionnés pour les travaux agricoles, ils retournent au Barefoot College, pour une formation continuée : analyse des difficultés, réflexions sur les situations d’apprentissage.

Barefoot College organise aussi une école de jour, qui rassemble environ 400 enfants, pour 14 enseignants. Si l’un d’eux circule dans la cour, équipé d’un bâton pour les envoyer dans les classes qu’ils désertent parfois, il ne les frappe pas. Les enfants ne portent pas d’uniforme.

Les parents ont suggéré tout simplement que les écoles soient organisées le soir pour s’adapter à l’emploi du temps des enfants qui gardaient les vaches, les chèvres et les moutons dans la journée. Ils ont dit qu’ils ne voulaient pas d’enseignants fonctionnaires du gouvernement, que ne motivent que le salaire et la vie en ville. Conformément à leurs conceptions, ils voulaient un maître qui vive dans leur village et qui accepte d’être formé par le collège aux pieds nus afin de devenir un enseignant humain qui fasse de l’apprentissage une joie et un plaisir, au lieu de battre les enfants et de leur apprendre à lire et écrire de force.

On peut confirmer que les enfants choisissent de fréquenter ces écoles, et savent pourquoi ils le font. La plupart dégagent une impression joyeuse et motivée. Le moins que l’on puisse dire est que ces élèves ne sont pas blasés. Les rencontres ont été sympathiques : échanges de chants, et questions croisées.

Les parents ne souhaitaient pas non plus que leurs enfants deviennent des « notables » : ils voulaient simplement qu’ils apprennent à mieux connaître leur propre village, à respecter la culture, les usages et les traditions menacés de disparition par l’influence des villes voisines. En un mot, ils désiraient une éducation qui ne force pas leurs enfants à s’en aller. A quand le haut comité d’experts internationaux qui saura résoudre les graves problèmes que connaît l’école primaire à travers le monde par des observations aussi simples, basées sur le sens commun et la sagesse traditionnelle ?

L’instruction est nettement séparée de l’éducation, c’est un des préceptes de Ganhi, dont la pensée traverse de part en part le projet. A l’école revient la première, sans véritable souci pédagogique. Le rythme de travail n’est pas très soutenu, et les moments creux sont nombreux au cours de la journée, mais les objectifs sont ciblés avec clarté : savoirs de base. A la communauté revient la seconde fonction, celle de l’éducation, qui se transmet dans la cellule familiale et la communauté villageoise.

Un parlement des enfants

Depuis 1975, date à laquelle les premières expériences ont été mises en place avec le soutien du ministère de l’éducation, le collège aux pieds nus a essaimé dans quelque 150 villages à travers l’Etat du Rajasthan (districts d’Ajmer, Jaipur, Barmer, Sikar et Baran). Ses classes sont fréquentées par plus de 3 000 enfants, parmi lesquels 1 800 filles, qui gardent les troupeaux de leurs parents durant la journée et aident aux tâches domestiques. Des jeunes sans emploi ont été choisis par les parents et les communautés pour être formés comme « enseignants aux pieds nus ».
Plus de 250 réunions d’enseignants, 600 rencontres parents-enseignant, 1 250 réunions des comités d’éducation villageois sont organisées chaque année : elles ont pour seul but de partager l’information et de montrer aux parents et aux membres de la communauté combien il est important qu’ils participent à l’éducation de leurs enfants. Ce qui contredit radicalement la conception gouvernementale qui veut que, sous prétexte de technicité, l’enseignement soit l’affaire des seuls enseignants.
La spécificité des écoles du soir du collège aux pieds nus tient au fait que 90 % du matériel éducatif est produit par les enfants qui y ont franchi le cap de la cinquième année (2). C’est une façon de susciter de l’auto-emploi, tout en équipant les écoles en tableaux, craie, matériel didactique et pédagogique, cahiers et nattes. Toutes les écoles du soir sont équipées d’éclairage solaire fabriqué par d’anciens élèves devenus « ingénieurs solaires aux pieds nus ». Ainsi, au terme de leur scolarité, ils servent leurs communautés en restant au village au lieu d’émigrer vers les villes et villages voisins.
La plupart de ces anciens élèves sont de jeunes ruraux, souvent atteints d’un handicap physique.

Les nombreux handicaps physiques des travailleurs de BC seraient dus, essentiellement, à des malformations congénitales, causées par une eau de consommation de mauvaise qualité. Belle pirouette, qui consiste à faire de ces victimes d’une situation sanitaire déplorable les acteurs de son amélioration.

Autre spécificité du collège : depuis sept ans, le contrôle, l’administration et la supervision des 150 écoles du soir sont assurés par un Parlement des enfants dont les membres sont élus pour deux ans par 3 000 enfants âgés de 9 à 14 ans. Le « premier ministre » forme un cabinet de dix ministres pourvus de portefeuilles spécifiques : éducation, énergie alternative, développement féminin, emploi, intérieur, etc. Les ministres, eux-mêmes garçons et filles de 9 à 14 ans, ont le pouvoir de recruter et licencier les enseignants, de visiter chaque école du soir et de faire un rapport au cabinet qui prend toutes les décisions importantes.

Le cabinet des ministres se réunit une fois par mois, pour des sessions de deux jours. Pour avoir assisté à une de ces sessions, nous pouvons affirmer que le pouvoir des enfants est au minimum orienté, pour ne pas dire confisqué, par les adultes qui encadrent ces réunions. Parmi la vingtaine d’enfants présents, il y avait surtout des filles (l’école du jour est réservée aux garçons, et aux filles reviennent les tâches ménagères, dans la grande majorité des cas, et donc l’école du soir) et parmi la douzaine d’adultes, surtout des hommes (deux femmes, plutôt silencieuses). Si manifestement les adultes sont bienveillants, ils sont aussi autoritaires, et au minimum condescendants envers les enfants. Nous doutons que le pouvoir de ceux-ci soit aussi étendu que ce qui est affirmé par Bunker Roy. Néanmoins, donner la parole aux enfants constitue certainement une rupture culturelle évidente. Quant aux responsabilités, elles nous semblent menues : vérifier le bon fonctionnement des lampes, l’assiduité aux cours du soir…
Ces sessions débutent par un long chant, dont les couplets semblent parfois improvisés, parfois pas, et sont entonnés par tous les participants, enfants comme adultes. Le refrain est repris en chœur par tout le monde. Ce rituel est impressionnant, et on devine son sens : échauffement, entraînement détourné à la prise de parole dans ce contexte assez intimidant pour les enfants, cohésion, …

Enfin, dernière particularité, toutes les écoles du soir récupèrent l’eau de pluie provenant des terrasses. La capacité des réservoirs d’eau de pluie - construits avec des matériaux traditionnels, selon les connaissances et le savoir-faire locaux - varie entre 20 000 et 50 000 litres. Pour le prix d’une foreuse sophistiquée creusant la roche, il a été possible de collecter 12 millions de litres d’eau de pluie dans 107 écoles primaires rurales, offrant ainsi des emplois à 1 000 villageois pauvres qui ont construit les citernes en quatre mois.

Le Barefoot College répond aux demandes des communautés villageoises. L’emplacement et la capacité des citernes sont calculés en fonction de la population de l’école et de la surface des toitures. BC fournit 90% de l’intervention financière et le village le reste. Les fosses sont creusées à la main, afin de fournir du travail à des ouvriers non qualifiés plutôt que d’enrichir un entrepreneur ou une riche famille.
Les parents enverront d’autant plus volontiers leurs enfants à l’école qu’elle leur fournit de l’eau de bonne qualité : les objectifs se croisent souvent dans la démarche de BC.

Lauréat en 1995 du prix de l’Economic and Social Commission for Asia and the Pacific (Escap) pour son action en faveur du développement des ressources humaines, et distingué en 1997 par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) pour la lutte menée contre la désertification, le Social Work and Research Centre (SWRC) de Tilonia a apporté la preuve, au cours de ces vingt-neuf dernières années, que les jeunes ruraux peuvent contribuer efficacement au futur de leurs communautés.

Comment lutter contre la désertification ? En rendant les campagnes habitables (emploi, eau, santé, éducation), en utilisant d’autres ressources de chauffage que le bois, en plantant et cultivant, …
Désormais, l’objectif est d’étendre le succès du collège aux pieds nus hors des frontières de l’Inde. Partout où des communautés pauvres, vivant dans des villages reculés, loin des grandes villes, possèdent une riche tradition culturelle d’échange mutuel de connaissances et de compétences, un collège aux pieds nus peut être créé. De telles conditions existent dans de nombreux pays, tout particulièrement dans ceux qui sont le plus exposés à la dégradation de l’environnement, à l’augmentation de la pauvreté et à la marginalisation des jeunes.
C’est ainsi que nous avons rencontré des jeunes femmes du Bouthan (tu vois où c’est ?), de Mauritanie, venues suivre une formation de 6 mois pour devenir à leur tour « ingénieurs aux pieds nus » et diffuser leur expertise dans leurs contrées respectives.
Bunker Roy affirme par ailleurs que ce genre de projet ne peut se développer qu’en zone rurale, car les savoir faire traditionnels y sont intacts, ce qui n’est pas le cas en zone urbaine.

Bunker Roy

Vit et travaille à Tilonia, Inde, depuis trente ans.

Issu d’une famille très puissante, hors Rajasthan, il a fait le choix militant de consacrer sa vie à ce projet social (prioritairement), renonçant à des possibilités de carrière de haut niveau. Très politique dans les premières années, son rôle semble évoluer vers plus de représentation (liens avec des projets sociaux ailleurs dans le monde, notamment, et missions « occidentales », dans le cadre de la recherche de fonds, semble-t-il). Des interlocuteurs crédibles nous confient que Barefoot College s’est installé dans la routine, et ne déménage plus comme dans les débuts. C’est compréhensible : tant de choses ont été faites !
Les salaires sont plafonnés à une centaine de dollars par mois au Barefoot College. Tout le monde se nourrit et travaille assis par terre. Une fois par mois, les 168 tr availleurs se réunissent pour évaluer, décider, planifier. Il ne s’agit pas pour autant d’une organisation non hiérarchisée. On voit tout de suite qui décide quoi, la plupart des acteurs n’ayant de toute façon pas vraiment envie de prendre des responsabilités, ce qui correspond assez bien aux usages du pays, nous semble-t-il.

CONCLUSION

Ce n’est rien de ne pas faire tout ce qu’on dit qu’on fait, du moment qu’on continue à y croire, à y tendre, et que l’objectif demeure. Au tir à l’arc, le vainqueur n’est pas celui qui touche le cœur de la cible, mais bien celui qui s’en rapproche le plus.

Faire de l’enfant un interlocuteur, dans une société fortement hiérarchisée par l’âge, inviter la femme à participer au pouvoir, dans une culture résolument sexiste, donner la parole aux sans grades, dans une tradition marquée par les castes, procurer du travail aux handicapés, alors que partout ailleurs ils sont réduits à l’assistance ou la mendicité, toutes ces démarches signalent une rupture nette un souci volontariste de changer le monde.

A Barefoot College, on travaille à le changer en ses lieux socialement solides, en milieu rural, là où les savoirs traditionnels et la solidarité ont plus de poids que les diplômes et les hiérarchies de papier. A titre d’exemple, l’architecte du nouveau campus, dont le travail a été reconnu par un prix prestigieux, est un maçon illettré.

Au Rajasthan, le travail (rémunéré) est aussi rare que l’eau. Il convient dès lors de le rechercher, le préserver, et l’économiser. C’est pourquoi le visiteur peut être surpris par une productivité relativement modeste. Après tout, notre modèle occidental productiviste est dans l’impasse. Entre ceux qui travaillent trop et ceux qui désespèrent de trouver une activité professionnelle épanouissante, le bonheur est parfois aussi rare que l’eau ici. A Barefoot College, l’activité, souvent modérée et intermittente, est partagée entre tous, et rémunérée de façon relativement égalitaire, quelque soit le niveau de responsabilité.

Notre participation, en dehors de quelques animations dans les écoles, est l’intervention graphique d’Adrien sur les murs de l’école de jour de Barefoot College : un tag de 40 pieds de long, métissage belgo-indien, mi rural mi urbain, qui lui a valu les appréciations enthousiastes des enseignants et des enfants. C’était un travail en plus, pas un travail avec, donc pas de problème par rapport à la rareté du boulot.

Tant les travailleurs que les enfants ont la possibilité d’intervenir sur leur destin collectif lors de réunions régulières où tout le monde peut prendre la parole, même si les décisions sont orientées par les acteurs les plus influents.

Aujourd’hui récompensé par des prix, soutenu par des sponsors et le gouvernement, Barefoot College ne sombre pas dans la folie des grandeurs, et n’infléchit pas sa règle de conduite. Peu d’investissements coûteux, d’achats dispendieux. Les outils sont toujours aussi rares et précieux, du pinceau au stylo, de l’ordinateur au véhicule.

Les antennes de Barefoot College, les communautés villageoises, sont autogérées à 90%. Cette règle est une des clés de la continuité.

Barefoot College, le Collège aux Pieds Nus, partage ses initiales avec Pédagogie Nomade. On a déjà insisté sur la fierté inhérente au nomadisme, des gens comme des idées. C’est cette fierté qui impose d’adopter comme ligne de conduite l’autonomie, via l’autogestion, le dédain pour la supériorité de papier des experts certifiés et arrogants, qui ont établi les preuves de leurs insuffisances coûteuses.

Quand on lui demande ce qu’on peut faire pour Barefoot College, Bunker Roy répond : « faites la même chose dans votre pays, travaillez avec les petites gens pour leur rendre la dignité dont le modernisme les a dépossédés ». Aucune nostalgie passéiste dans cette invitation, puisque les nouvelles technologies, alliées aux savoirs traditionnels, sont une des armes à saisir fermement.

Mais les pieds nus, c’est aussi, nonobstant la fierté requise, assumer une pauvreté, ou une simplicité matérielle partagée. Ce n’est pas pour économiser le mobilier que tout le monde travaille, mange, assis à même le sol. C’est à cette hauteur que tout le monde est sur le même plan.

Barefoot College développe également un projet « logement traditionnel » conséquent, achevant ainsi de répondre, de façon croisée, aux objectifs de fond que l’on résume pour conclure : logement, emploi, éducation, eau potable, santé, environnement, communauté, autogestion. Pas mal, quand on fait l’addition !

Du 28 au 30 janvier

Jaipur

« il faut que l’école devienne autre chose que l’école pour que ce qui n’est pas l’école devienne école »

Lors d’une conversation matinale et sympathique, Seelim, le cuisinier du guesthouse « Hardik » nous affirme

  que les écoles gouvernementales sont à peu près gratuites, mais que les enfants n’y apprennent rien, parce que les enseignants sont très peu motivés, souvent très durs avec les enfants, mais que les écoles privées sont hors de prix, et c’est pour ça que, pauvre, il préfère que ses enfants travaillent dès douze ans, et apprennent un métier. L’un d’eux est devenu cordonnier, l’autre employé dans un hôtel

  et que dans les villages, le « social work » est possible, parce que sa cohérence implique l’autonomie et que tout y est moins cher. Cela correspond au profil de « Digantar » qui compte parmi les projets inscrits dans le réseau « Barefoot College », dont une des clés de voûte du système est un des principes de Gandhi : « si tu travailles avec les pauvres, deviens pauvre toi aussi, dans ta façon d’être et de travailler ».

  mais aussi qu’il a entendu parler, pas bien loin, d’une école où il y aurait des enseignants belges : on décide donc de l’ajouter à notre programme et de passer dire un petit bonjour

Drydan Social Welfare Society et OpusIII

Man Singh Gurjar a lui-même eu un coup de bol dans son enfance. Alors qu’il devait quitter l’école à 12 ans, pour travailler, l’instituteur a réussi à convaincre son père de le lui confier. Il lui a donné le gîte, le couvert, l’instruction, qui lui ont permis de mener des études supérieures, et donné l’envie de rendre ce qu’il avait reçu. C’est ainsi que, scandalisé par la médiocrité des écoles gouvernementales et le prix des écoles privées, il a créé son école, dans un quartier très populaire de Jaipur, en réunissant avec des amis les fonds nécessaires.

Au même moment, une Belge ouvrait à proximité une autre école, pour les enfants très défavorisés. Une rencontre les a convaincus de travailler ensemble et des donations et parrainages belges financent les deux institutions complémentaires, qui accueillent aujourd’hui près de mille enfants sans discrimination religieuse ou économique.

La première peut être qualifiée de régulière, et puise ses principes pédagogiques dans la philosophie de Gandhi (par exemple, égalité sourcilleuse entre les travailleurs, qui s’assoient par terre, au même niveau, lors de leurs nombreuses réunions) et les méthodes « belges » proposées par les partenaires flamands. Visiblement les enfants y vivent joyeux, dans des classes agréables, avec des enseignants qui assument leur rôle d’exemples. On n’y connaît pas la punition, et les résultats aux évaluations gouvernementales sont brillants. Il y a un petit internat tout à fait sympathique : si on loge un jour les élèves de Pédagogie Nomade à l’indienne, on pourra en héberger sans problème deux cents…

Dans l’autre école, sans uniforme, à un coût moindre, sont scolarisés des enfants qui peuvent, si leur travail et leur assiduité le justifient, glisser ensuite vers la première, et au minimum quitter l’école en bons termes avec elle, et alphabétisés. Cette école a tellement de succès que les élèves s’y succèdent, les uns viennent le matin, les autres l’après-midi, faute de place suffisante.

Chaque matin, après la prière (on prend de la religion ce qui peut servir à l’éducation, pas ce qui enferme) les enfants récitent à tue-tête leur engagement… et se mettent au boulot dans un climat paisible et appliqué.

Mais, et c’est peut-être l’essentiel, les bâtiments accueillent également un dispensaire, une pharmacie coopérative, une salle de lecture, un service de micro-financement, une salle de spectacles et de projection pour le quartier, services sociaux divers… Autrement dit, l’école qui est école devient autre chose pour que ce qui n’est pas école devienne école, comme aurait dit Deleuze.

A l’avenir, autour du secteur paramédical, les promoteurs envisagent de créer des études supérieures, qui permettraient aux enfants de l’école de poursuivre leur cursus, ce qu’ils ne peuvent se permettrent actuellement passé l’âge de 16-18 ans, en raison de leur situation financière précaire, et ensuite d’être engagés dans ce même secteur.

Encore une anecdote : nous sommes arrivés précisément au moment où toute la population des écoles et leur activité se figeaient pour quelques minutes de silence, exactement 60 après la mort de Ganghi : impressionnant !!!

En tant que visiteurs belges, on a été accueillis comme des amis de longue date, par un directeur passionné par son boulot, son action (il vit à l’école, l’école est sa vie). Il n’y a aucune ambiguïté : on comprend que l’accueil est aussi chaleureux en raison de l’origine commune des fonds qui permettent le développement du projet et des visiteurs que nous sommes. Ecole émancipatrice ? Oui, si l’on considère l’objectif d’armer les populations défavorisées pour les faire devenir actrices de leur devenir. Ecole émancipée ? Voire…

Renseignements : www.opusiii.be

Digantar, Education for Justice and equality

C’est l’histoire d’une petite poignée d’enseignants qui, considérant le système scolaire gouvernemental inadéquat et inefficace pour beaucoup d’enfants, voulaient changer les choses en proposant une autre école.
Petit à petit, un collectif de volontaires désireux de développer une approche alternative au système éducatif s’est mis en place pour créer le projet Digantar, en Sanskrit au delà des horizons (dig : direction antar : changer), imaginant l’école comme un lieu démocratique où les jeunes découvrent et développent une sensibilité et un sens critique afin de se définir dans le monde qui les entoure et d’y vivre en suivant leurs propres choix.
Une première école de huit élèves a vu le jour en 1978. Depuis, quatre écoles ont été ouvertes en milieu rural, l’idée étant de rendre l’éducation accessible (fréquentation et matériel gratuits) aux populations défavorisées, en portant une attention particulière à l’éducation des filles, moins alphabétisées que les garçons.
Une des idées charnières énoncée par plusieurs enseignants est de rendre l’école agréable en instaurant un rapport d’égalité enfants - enseignants basé sur la liberté d’expression au service d’une implication personnelle et autonome dans l’école.

Jeudi matin, le soleil se lève sur Jaipur alors que nous trempons nos tartines ( indian style*) beurrées (indian style aussi) dans un massala chai ( forcement indian style…)
Le chauffeur de rickshow (un peu collant mais sympathique) nous conduit à travers ville puis dunes jusqu’à Bhandhyali où nous le laissons dessabler son moteur…car d’autres aventures nous attendent.

Nous voici donc à Bhandhyali, petit village étroit et magnifique où des enfants de 28 villages se pressent pour venir chaque matin dans la nouvelle école. Située dans la grande banlieue de Jaipur, à un endroit où 2% de la population sont lettrés, elle accueille ceux qui sont souvent la première génération d’écoliers du coin.
Pas de réveil forcé pour être à l’heure à l’école, ici, c’est un choix d’être écolier.
Et l’on s’en souvient à peine passé le portail jamais clos, lorsque l’on va rejoindre son groupe dont le nom a été pensé puis peint par la classe : ainsi se côtoient dans une grande cour en plein air entourée de petit enclos couleur brique décorés avec soin les « palak » (épinards !), les « gulshan », les « ghooman », les « Sitara » (étoiles) ou les « bulbul » (oiseaux).

*Prononcé : staïle

Une journée d’école à Digantar

Tous les matins, les enfants commencent par nettoyer la classe. Les tâches sont attribuées à chacun pour une semaine et écrites sur une grande ardoise. C’est la « charte ».
Pas besoin de demander au maître ce qu’il faut faire : on le sait.

Vient le temps du grand rassemblement, temps fort pour la cohésion de l’école puisque tous se retrouvent dans la cour pour chanter, danser, produire des saynètes de théâtre… Des tours sont instaurés et mêmes les profs ont leur petit spectacle à présenter.

Il est aux alentours de 10 heures. A présent les enfants regagnent leur groupe respectif et démarrent les apprentissages de l’Hindi, de l’anglais, des mathématiques ou des études de l’environnement (qui comprennent aussi bien l’histoire, les sciences, la géographie que les sciences sociales). L’ordre des activités peut varier mais celles-ci sont quotidiennes et durent environ 40 minutes chacune.
80 minutes sont consacrées tous les jours aux arts : danse, théâtre, chant pour le rassemblement matinal ; dessin, collage, peinture, poterie, bricolage pour l’après-midi.
Ça, c’est pour les primaires. En secondaire (quelques classes), on travaille sur l’indian culture, les sciences sociales et les maths et on peut choisir entre hindi, english, ourdou (hindi écrit avec l’alphabet arabe !) ou le sanskrit.
Et tout ceci se passe dans une ambiance à la fois joyeuse et studieuse.

Il est 10h aussi quand nous arrivons à l’école. Nos hôtes sont chaleureux et disponibles. Il règne une ambiance colorée et gaie. On nous fait visiter les lieux, la nouvelle bibliothèque, peut être la seule trace de livres dans le village. A présent, les enfants pourront en emporter chez eux.

Très vite, on nous dit comme le jeu, le respect de l’enfant et de ses souhaits sont primordiaux. Ici, pas question d’user du bâton ou d’élever la voix.

Nous gagnons ensuite la grande cour.
Les enfants sont assis à même le sol, sur des tapis au soleil, réunis par petit groupe. Nous sommes surprises par leur concentration et surtout, c’est la première fois que l’on visite une école indienne où il faut chercher pour trouver le professeur. Ah ! Si, le voilà, assis en tailleur parmi les autres, il semble servir de personne ressource, « au cas où », discret et disponible.
Les enfants, eux, sont penchés sur leur travail, à peine dérangés par notre présence, ils semblent tout à leur ouvrage et, en tout cas, bien au fait de ce qu’il y a à faire.

Durant les travaux par classe, les élèves travaillent en petit groupe selon leur niveau de difficultés. Les groupes varient très fréquemment, s’adaptant au besoin des enfants.

Le samedi est un jour spécial durant lequel le matériel est réparé, les classes soigneusement nettoyées et rangées puis le reste de la matinée est consacré aux jeux et à un nouveau grand rassemblement qui laisse place à la fête et aux spectacles divers.

La formation d’instit’

L’après midi, nous rencontrons, à quelques kilomètres de là, Reena, directrice et fondatrice du projet avec son mari. Elle travaille au centre de formation de Digantar et s’occupe du fonctionnement de l’asso après avoir été instit pendant vingt ans puis formatrice.

La formation dure 4 mois et est réservée aux étudiants titulaires d’un « bachelor ».
Nous profitons de ce moment dans la discussion pour évoquer le cas « Barefoot college » qui a choisi délibérément de former des gens du village, le plus souvent illettrés et a priori sans qualification pour travailler dans les night schools…
Reena sourit et dit : « We can’t have teachers who don’t know what they have to teach…” Notre anglais nous semble bien faiblard pour nous lancer dans une description de la démarche Jacotot mais on y songe quand même le temps d’un clin d’œil.

En plus de la formation initiale, chaque samedi après midi, lorsque les enfants quittent l’école, les enseignants se réunissent pour discuter des problèmes rencontrés, des médiations et projets. Une fois par mois, la réunion traite des sujets à travailler pour le mois à venir. Et une fois tous les deux mois, c’est au centre Digantar (celui où nous avons rencontré Reena) que tous les enseignants de toutes les écoles Digantar se retrouvent pour le Maha Sabba ( grand rassemblement), cette fois, ce sont les questions plus générales, concernant système, philosophie et fonctionnement qui sont mises sur le tapis (au sens propre comme figuré…)

Durant tout le mois de juin, période vacante pour les enfants, les enseignants déjà en poste poursuivent leur formation, ce sont les ateliers d’été.

Les professeurs viennent nombreux se former à Digantar puis choisissent de travailler dans des écoles du gouvernement… Dans celles-ci en effet, leur salaire est triplé (1500 roupies au lieu de 500…) et le volume horaire bien plus faible (5 heures quotidiennes contre 8 voire 9 à Digantar). On retrouve un problème souvent constaté dans les écoles alternatives de France et d’ailleurs.
Regrettable au premier abord, n’est-ce pas tout bien considéré une belle façon d’étendre les méthodes Digantar au-delà de ses frontières ?

Relation aux parents

Lors de la création de cette école de village, l’équipe enseignante avait organisé une rencontre avec les parents leur demandant ce qui se passait d’après eux ici, chaque jour, avec leurs enfants. Réponse déconcertante : « Vous jouez aux cartes »
Reena, qui nous rapporte cette anecdote, explique que les enseignants utilisent des « flash cards » (cartes avec une face dessin et au dos le mot correspondant) pour apprendre, mémoriser les mots nouveaux… Les parents, ignorants ce support d’apprentissage en avaient déduit qu’il s’agissait d’un jeu. Et l’instit de se lancer dans l’expérience avec ces grands enfants qui n’ont jamais connu d’école.

Par la suite, soigner la relation école / familles (relation qui gagne toujours à s’enrichir, peut être encore plus ici où l’adulte pourrait décider de garder son enfant avec lui pour l’aider dans les tâches quotidiennes) est apparu comme une nécessité.
Et cette nécessité s’est rapidement traduite dans les actes.
Ainsi, une fois par mois, l’instit rend visite à chaque famille d’élève. Cette visite est autant une occasion de discuter avec les parents et l’enfant de la vie de l’école et de la maison qu’un moyen de créer du lien entre ses trois acteurs.

Ce travail d’apprivoisement et de respect mutuel a permis lors de la reconstruction de l’école de compter sur les bras et l’énergie des parents faisant ainsi de l’école une cause commune.

Quelques mots sur l’argent…

Comment permettre à des enfants pauvres d’aller à l’école ? En créant une école TOTALEMENT gratuite. C’est le cas à Digantar mais la gratuité, ça se paye…

Le projet est donc financé à demi par la communauté, à demi par le « Social initiative group » de ICICI Bank.
« Quoi ? Vous êtes financés par une banque ? » Voilà ce que nous avons pensé tout haut à première vue.
Mais nous sommes en Inde, où tout est possible (Sab kuch milega) et où tout s’invente. Le financement par la partie sociale ( ?) des banques pour des projets d’écoles (entre autres) est tellement répandu ici qu’il fait quasiment figure de troisième réseau (après les gouvernemental schools et private schools).

Pas de parrainage des enfants, des fluctuations dans la participation aux frais des instances financières, et pourtant, un besoin constant de recevoir des fonds… Ne serait-ce que pour permettre aux enseignants d’être mieux payés, à la bibliothèque de se remplir, à la cantine de fonctionner, aux enfants d’avoir des cahiers.

Quelques mots pour conclure :

A ce jour, Digantar est associé à un établissement scolaire au Royaume Uni avec qui des échanges sont organisés. Lors de notre visite, nous n’étions pas les seuls à venir découvrir le projet. Il y a bon espoir pour que des associations et fondations du monde entier continuent d’apporter leur aide à ce projet qui en a toujours besoin et qui a aussi de belles choses à offrir.

Pour en savoir plus, en anglais… Voici le site :

www.digantar.org

à partir du 31 janvier : Rishikesh

RAMANA’S GARDEN

Prabbavati Dwabha est une ancienne actrice d’Hollywod. En 1991, suite à un parcours spirituel en Inde, elle a décidé de passer à l’action.
Elle a commencé par ouvrir une petite clinique et une école primaire, puis une autre, puis des campements médicaux itinérants, des cantines, de l’agriculture, etc.
Maintenant elle s’occupe en permanence d’une maison et d’une école pour orphelins et enfants abandonnés. 55 enfants vivent sur place et 137 enfants viennent suivre les cours. La plupart de ces enfants sont de la caste des intouchables et reçoivent une éducation en anglais, dans un esprit anglo-saxon, dans le respect des cultures indienne et népalaise.
Le lieu est magnifique : les bâtiments s’accrochent à un flanc de colline surplombant le Gange.
Un restaurant a été créé, qui draine un public plutôt BCBG et offre un service trois étoiles, avec des prix à l’avenant : pas très indiens, ni l’un ni les autres. Mais il est à peine rentable, car des membres du personnel semblent s’y remplir un peu les poches. Les enfants peuvent y travailler et les pourboires, ainsi que le fruit de la vente de biscuits, d’artisanat, seront déposés sur un compte auquel ils auront accès à leur majorité.

Les difficultés ne manquent pas : on fait un petit tour, pas exhaustif, sans doute.
Les problèmes interethniques entre Népalais et Indiens parasitent pas mal le projet
Une certaine suspicion règne : détournements d’argent par des membres du personnel, sans doute en collusion avec des commerçants locaux.
L’école n’est pas terrible : il est nécessaire d’adopter le système indien, donc anglo-saxon, pour obtenir la reconnaissance du gouvernement, et ce n’est pas vraiment la voie de l’émancipation, quoiqu’en disent les dépliants de l’association.
Les enfants, nous dit-on, s’installent dans le système : ils considèrent les bénévoles extérieurs, comme les clients du restaurant, comme des vaches à lait, et parfois par séduction, parfois par de petits larcins, se font leur argent de poche. Quant aux nombreux colis de vêtements, de livres, qu’ils reçoivent en abondance, cela a pour effet d’induire un comportement d’enfants gâtés. Bref, tout l’inverse de ce que prône Gandhi, par exemple. Même s’ils sont joyeux et heureux d’être là, les enfants sont en quelque sorte en situation de « choc culturel ».
Un domaine a été aménagé à 80 km de là, à 2000 m d’altitude. Les enfants y passent les mois les plus chauds, et un guesthouse accueille les touristes. Mais là aussi les difficultés sont pesantes : l’administration des forêts en cheville avec braconniers et les déboiseurs clandestins, la mafia, quoi, refuse de prolonger le bail.

Impression générale ?

En dehors du charme évident de l’endroit, jardinets, ferme miniature, sentiers, escaliers, terrasses, nous demeurons perplexes. Le projet ne tourne que grâce à un tour du monde annuel de la fondatrice, en quête de fonds, car le fonctionnement nécessite 150000 roupies par mois, ce qui à l’échelle indienne est considérable. Cependant, nul doute que les conseils d’administration des services clubs du monde entier se laissent facilement convaincre : le projet est propre, géré à l’occidentale par des occidentaux, et ne remet pas grand’chose en cause : c’est de la bienfaisance à l’état pur, de la charité bien ordonnée. Autant le cadre s’intègre à merveille dans le paysage, autant ce qui s’y passe semble remettre peu de choses en question, et s’adapte plutôt à une situation.
L’explication ?
La démarche de la fondatrice est d’ordre spirituel, et c’est en suivant les indications de son gourou qu’elle a initié ce projet. Dans cette logique spirituelle, il est nécessaire d’activer tous les centres d’énergie, dont le travail social est un des aspects, à côté du jardinage, de la méditation, de la lecture des textes, etc…
En résumé, nous ne sommes pas convaincus, même si Ramana (c’est une divinité)’s Garden applique un baume sur bien des blessures… et c’est déjà ça.

Ganga Valley School

GANGA VALLEY SCHOOL (Laxman Joohla)

Rachel Rai a fondé cette école peu après avoir travaillé deux ans comme formatrice en informatique à Singapour.
Au début, 6 enfants, niveau préscolaire, occupaient deux pièces. Rapidement, le nombre est passé à une quarantaine.
Des aides venues de l’Ouest on permis de construire deux nouvelles classes.
Les matières recommandées par les programmes officiels sont expédiées en matinée, et l’après-midi est consacré à la danse, le dessin, le yoga, les sorties, etc. C’est alors la vie qui devient la matière et le moyen des apprentissages, chaque enfant progressant à son rythme et à l’écoute de ses désirs.
Les parrainages et l’aide de Simone, une mécène allemande ont permis les débuts de l’école et ses premiers développements, mais cette dépendance ne convient pas à Rachel.
Lorsque Simone, lors d’un de ses séjours en Inde, est tombée gravement malade, les deux femmes se sont rendu compte que l’école aussi risquait de souffrir. Où trouver le financement qui garantirait autonomie et pérennité ?
Rachel a ouvert une échoppe à proximité de l’école, où elle fait négoce de textiles indiens et népalais de qualité et à prix fixes.
Elle ne peut être au four et au moulin, aussi le magasin est-t-il devenu l’endroit où les plus grands élèves peuvent mettre en pratique les lois mathématiques et l’anglais appris à l’école.
Rachel lutte contre le système des castes et la rigidité du modèle éducatif gouvernemental. Même parmi ses collègues, certaines refusent le tchai s’il est servi par un enfant des castes inférieures. Tant pis pour elles.
Le projet suscite aussi quelque jalousie, car chacun s’aperçoit que des touristes bien intentionnés visitent l’école, et sans doute y laissent quelqu’argent. Aussi, pour éviter les suspicions de détournement à des fins personnelles, Rachel les accompagne alors chez le commerçant, pour acheter tapis, cahiers, fournitures et matériel nécessaires.

La leçon que donne Rachel, c’est que les programmes ne sont pas une fatalité et ne bouchent pas les horizons, qu’on peut s’émanciper de la dépendance financière, et que mélanger Gandhi et Freinet, c’est possible. Elle confirme aussi, mais il y a un moment qu’on s’en rend compte, qu’il suffit de la volonté d’une personne déterminée, soucieuse d’œuvrer de façon cohérente et fière, à la réalisation de ses rêves sans perdre de vue la réalité, pour que tout soit possible.

On reparlera de cette école, puisqu’Adrien va la décorer avec les enfants, et Séverine et Floriane vont épauler pendant quelques jours Rachel. Benoit, quant à lui, vous salue bien.

Depuis le neuf janvier, on tente de rejoindre le Social Motivational Training Center, que le lecteur peut découvrir sur le site référencé, mais c’est bien compliqué.
Une première tentative, en bus, s’est soldée par un échec, difficile à analyser puisque nous ne parlons pas Hindi... Retour à la case départ, et nouvelle tentative, en voiture cette fois. Nous avions demandé à l’agence de vérifier par téléphone les possibilités, et on nous a appelés alors que nous n’avions pas encore quitté Laxmanjoohla, pour annoncer que décidément, ce n’est pas possible. L’armée d’un côté et la Chine de l’autre, et la neige pour fermer les autres accès.
Demain matin, le 13, on va tenter le coup à l’arrache, en passant éventuellement à pied. On se dit bien que c’est une histoire qui peut se régler avec un ou plusieurs pots de vin mais, coquetterie ou psycho-rigidité, va savoir, on n’a pas envie de jouer ce jeu là.

Sinon, à force de discuter, on se rend compte que les plans B ne manquent pas, et on a repéré, sur une autre route de montagne, une autre structure intéressante. Le problème, c’est que quand nos interlocuteurs indiens nous indiquent une "good school", c’est en général celle qui se rapproche le plus du fameux modèle anglais dans la région, uniforme clinquant, discipline de fer, dressage assuré...

Hier on a essaye de rejoindre le SMTA (site reference). Oufti !!!
Zone militarisee (cest tout pres de la Chine) et routes interdites. Les autres sont encore bloquees par la neige, ou alors cest des detours a nen plus finir sur les petites routes de montagne... En attendant, cette premiere tentative, en bus, les tractations avec larmee, etc... c`etait pas mal pour une journee. A suivre

Du 14 au 18 février

Deux trois choses qu’on devinait, et qui se confirment
  on en fait, du chemin, en montagne, avant d’en faire aussi sur la carte
  traverser un nuage de vautours, escalader en bus les éboulements, frôler le précipice à chaque virage, ça impressionne
  l’armée est bien un monde à part, avec sa logique propre, ses évidences impénétrables
Le mélange de ces ingrédients, proximité de la frontière chinoise comprise, ça nous dit qu’être loin de tout, ça protège autant que ça enferme dans l’isolement, ou le contraire…

Enfin, on arrive à la

Society for motivational training and action

« on hésite généralement à commencer quelque chose si on pense que l’objectif ne pourra être entièrement atteint. Cet état d’esprit est en réalité un obstacle au progrès » (Gandhi)

SAMTA est née en 1983 lorsque l’équipe fondatrice de Barefoot College a chargé l’un des siens, Raymond Ruben Furtado d’étudier, en réponse à une demande du gouvernement, la possibilité d’un projet de développement dans une région reculée de la première rangée des Himalaya.

Dès 1886, parce que c’est dans la logique de BC, SAMTA s’est organisée en association indépendante, avec existence juridique à l’appui, parce que la voie de l’émancipation se joue à tous les étages.

L’organisation, en montagne, n’obéit pas aux mêmes nécessités que dans le désert, et n’a pas à affronter les mêmes difficultés. Un quartier général, avec possibilités d’hébergement et toutes les facilités s’est donc implanté à Vikas Nagar, chef-lieu administratif, dans la plaine, tandis que le champ d’application, s’installait dans un microscopique hameau, à quatre ou cinq heures de bus. Quand on dit bus, ça évoque l’entassement à une vingtaine sur la plate-forme d’une jeep qui assure également le ramassage de lait, le service postal, et autres missions dictées par les nécessités.

Gros étonnement chez nos hôtes : jamais personne, parmi les curieux, ne s’aventure là-haut et notre arrivée, nuit tombée, désarçonne quelque peu le coordinateur. Ce qui résulte des entretiens et de la visite du lendemain, c’est essentiellement une espèce de fatalisme résigné.

Bien sûr les objectifs sont étudiés, cohérents, réfléchis :
  organisation d’écoles dans des zones négligées par le gouvernement
  création de comités de villages, avec l’objectif de la responsabilisation des communautés
  réflexion et action pour la qualité de l’eau et l’hygiène
  formations à la santé
  étude du problème du travail des enfants
  formation continuée des enseignants

Mais les difficultés sont réelles :

  pas facile de trouver des enseignants, compétents, prêts à quitter la ville pour vivre loin de tout à un salaire de travailleur social, inférieur de loin aux barêmes en vigueur dans l’enseignement officiel
  impossible de trouver un docteur pour remplacer le médecin retraité, récemment décédé, qui a lancé un projet de récolte des plantes et médecines traditionnelles
  difficultés de déplacements en général
  mobilisation des enfants, durant la bonne saison, pour les travaux des champs dans le cadre d’une économie familiale de survie
  un peu frustrant : le gouvernement récupère une après l’autre les écoles créées, le contrat de départ stipulant le principe de non-concurrence et sa propre priorité.

Résultat :

La magnifique école haut-perchée ressemble quelque peu à un vaisseau fantôme, et ça a quelque chose de déprimant. Bien sûr plus de cinquante enfants fréquentent l’école, mais le reste des infrastructures est sous-utilisé.

En attendant, les rapports d’activités sont optimistes, le site internet fringant, le head office ne manque de rien, même s’il tourne un peu à vide.

Et les fonds ?

Ils sont d’origine occidentale (UK, Suisse) ou locale, par exemple une école missionnaire écossaise des environs, un industriel local. Bref, on est loin de l’autonomie, surtout si l’on ajoute que les enfants doivent payer l’école. Car il faut bien payer le salaire des enseignants, qui résident dans les villages, et ont un diplôme monnayable. Le gouvernement n’assume pas ce coût de fonctionnement, car il s’agit d’écoles privées, pourtant tenues de respecter ses programmes.

Conclusion

Tout semble confirmer l’analyse du BC, avec lequel SAMTA n’entretient qu’un lointain rapport de filiation.

Certain contexte justifie le dédain pour les formations de papier des enseignants engagés.

Sans doute la seule voie viable est-elle, ici comme au Rajasthan, d’inviter les communautés villageoises à désigner des « enseignants travailleurs sociaux », d’assurer leur formation de base, et de leur confier l’alphabétisation et l’instruction des enfants, à un rythme qui tient compte des distances, des impératifs économiques de survie. La recherche d’un diplôme, validant une formation officielle, a des effets pervers, car nantis du titre, les villageois gagnent la grande ville, attirés par la promesse d’une vie et un salaire plus confortables, et les communautés montagnardes sont encore appauvries par cette hémorragie de leurs forces vives…

Ça, c’est l’aspect économique. Sur le plan pédagogique, il y a gros à parier qu’un natif du lieu, au courant de sa culture, des ses habitudes, et décider à y être acteur, ne pourra faire pire qu’un enseignant issu de la filière officielle, où le dressage « à l’anglaise », ancienne façon, reste de mode.

Et dans l’ensemble, l’esprit de Gandhi, qui définit Barefoot College, semble plus lointain ici, plus flou, particulièrement en ce qui concerne l’autonomie, et peut-être également la fierté indispensable, dont le directeur semble garder pour lui seul la recette, en affirmant (il aime les slogans, la chose la plus importante, dans un projet, c’est son leader…
Mais c’est juste un avis d’observateur extérieur, pas une leçon, ni surtout la prétention de cerner toutes les facettes de tous les problèmes.