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réflexion libre sur la justesse de la justice...

par l’équipe de recherches scéniques autour du livre « Maître ignorant », Jacques Rancière Bruxelles, 7.12.2009.

lundi 11 janvier 2010, par

A la ministre de l’Enseignement obligatoire, Marie-Dominique Simonet (CDH) Madame la Ministre,

Comme il est triste et regrettable de prendre la plume pour parler d’une injustice de plus. Mais nous ne pouvons que réagir et nous joindre aux voix de protestation et d’indignation qui se sont élevées à la suite de l’action de la police du 27.11 à l’encontre des élèves et du corps enseignant de l’association pédagogie nomade et de son professeur Benoit Toussaint.

Nous sommes membres d’une groupe internationale d’artistes de théâtre et de danse et nous avons eu le plaisir d’être invité par l’équipe très dynamique de l’école de Limerlé, afin d’y représenter devant les élèves une recherche scénique autour du livre « Le maitre ignorant »de Jacques Rancière, un des auteurs philosophes inspirateurs de cette école de réflexion autour d’une tentative de pédagogie expérimentale qui existe déjà et depuis de nombreuses années en France, à Caen et Paris, par exemple.

Nous avons été accueilli par des gens charmants dans un cadre verdoyant et rupestre où les slogans d’autorité inscrits sur des sortes de panneaux de signalisation étaient ceux de Rimbaud, René Char, Érasme ....Et, puisque nous avons rencontrés certains « usagers« de lesdits aphorismes », nous avons pu constater les effets émancipateurs sur ceux, arrivés comme « problématiques » et retrouvés quelques mois plus tard épanouis, faisant preuve d’une progrès incontestable, dans une logique d’échange et de sociabilité totalement enthousiasmante.

Nous y avons découvert de jeunes gens ouverts et singuliers s’ occupant de la vie de l’esprit : depuis les problèmes de résolution d’intégrales mathématiques jusques aux méandres du savoir faire d’une poule-au-pot pour une soixantaine de personnes, étudiant la chute de l’empire romain ou s’attelant à la résolution de problème d’échecs durant les inter-cours...les soirs ou les weekend occupés par des ateliers divers de chant, de théâtre, de musique ou de discussions philosophiques .(nous avons suffisamment manqué de ce type d’enseignement pour le leur envier...) Témoins directes, tout d’abord en janvier puis en juin, de la soif d’apprendre de ces jeunes, habitués pour certains d’entre eux à la logique de l’exclusion et de l’échec au sein des filières traditionnelles d’éducation et découvrant à Limerlé le plaisir d’apprendre et d’apprendre différemment, nous restons encore aujourd’hui sous les impressions plus que positifs sur ce lieu..

Est il nécessaire de préciser que c ’est toujours dans les marges que l’on réalise les plus beaux dessins et que cette expérience de part sa spécificité et son statut est par essence fragile et nécessite l’attention que l’on porte aux nouveaux nés, bien loin de la brutalité et de l’intimidation dont se sont fait les hérauts les forces de l’ordre quand les élèves les virent faire irruption au sein de leur établissement à la recherche de stupéfiants puis lors de l’interpellation scandaleuse de leur professeur manu militari ..

Y a- t- il une école oû l’on ne prévient pas la direction lors d’une intervention policière ? Et d’ailleurs existe il en Belgique une seule école n’ayant aucun problème de drogue ? De violence ? De problème d’autorité ? D’un autre coté, existe t-il une école oû l’on embarque un professeur pour rébellion ?

En conclusion, l’école à Limerlé a fait preuve de l’impossible à 2 reprises, en exemple positif et bien aussi en exemple négatif, comme le disent les Chinois. Première fois en réalisant un formidable lieu d’accueil et de l’apprentissage pour les élevés déclassées, deuxième fois accueillant les troupes de forces de l’ordre venant en surprise, l’expérience peu habituelle pour établissement scolaire dans un pays démocratique. Or c’est bien simple de semer la confusion et la peur dans un établissement d’apprentissage, il est bien plus difficile d’y créer la confiance, confiance en soi et dans le monde environnant, chemins sûrs vers une société moins désorientante.

Laissons donc le temps pour une école en construction. Les rêves de ceux qui la construisent ne bouleverseront guère l’ordre du monde à construire mais permettront à ceux qui n’y sont pas au départ les plus adaptés (et il y en a beaucoup) de se donner le temps et les moyens de se responsabiliser.

Nous en sommes convaincus, et l’avons constaté, il y a une urgence et un espace possible pour ce type de démarche pédagogique. C’est pourquoi nous vous prions de continuer d’accorder votre confiance à ce projet.

A lors les élèves sortis de cette école certainement nous étonneront-ils ( les écoles autogérées de Paris ou de Caen ont aussi crées des vocation de pompiers ou des « représentants de l’ordre » ....). En tout cas, nous sommes certains qu’ils nous ramèneront la capacité d’enchantement dont ce monde manque cruellement.

L’équipe de recherches scéniques autour du livre « Maître ignorant », Jacques Rancière Bruxelles, 7.12.2009.