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la sécurité qu’on nous propose...

lundi 11 mars 2013

Il marche, parce que c’est bon. De retour d’Orval, où les moines l’ont accueilli une semaine, il revient à pied, tranquille. C’est ainsi que c’était convenu. Les policiers, qui veillent, le repèrent sur le côté de la route, et le prennent en charge. En le ramenant, bienveillants, ils le privent de ce retour lent. Ils argumentent : on ne laisse pas un jeune ainsi. Ils ne nous confieraient pas leurs enfants. Ils incriminent, reprochent, critiquent. Les propos, inévitablement autoritaires, tombent à plat, ne rebondissent pas, ce sont des paroles vaines.

Cet autre, il a décidé de quitter plus tôt que prévu la piscine, et prend la route, à pied. Il connait le chemin et n’ignore pas qu’on le croisera. Il devine aussi les félicitations, et sa joie est anticipée : c’est bien, petit, tu n’es pas demeuré passif, à attendre. Tu t’es mis en route.
Mais une mère de famille, attentive, veille. Elle le repère sur le côté de la route, et le prend en charge. Elle le prive de ce retour en autonomie. En le ramenant, bienveillante, elle n’épargne pas ses reproches : laisser un petit marcher ainsi, c’est dangereux, il pouvait arriver quelque chose. Elle est véhémente.

Oui, il est bien arrivé quelque chose : elle a été touchée, et inquiète, s’est immiscée. L’intention, dont l’enfer est pavé, est bonne. Voilà, c’est tout. Mais non, elle insiste, puis part, énervée : il n’y a pas moyen de parler avec nous. Et s’il se passait quelque chose ! On ne laisse pas un gamin marcher ainsi. Nous restons un peu dubitatifs : dans l’histoire de l’humanité, les enfants, comme les adultes, ont toujours marché. Derrière une chèvre ou une vache, sur le chemin de l’école, pour porter une galette et un pot de beurre à une grand-mère malade et éloignée. Et voilà que les loups et les ogres des contes de fées continuent à terroriser, inhiber, justifier tous les maternages excessifs, les emprises sur les corps et les esprits.

Voyons voir… c’est justement ça qu’on tente de favoriser : laisser la place pour qu’advienne quelque chose. Une rencontre, une expérience, une ouverture. Les esprits chagrins, inquiets, Cassandres incorrigibles, supposent que ce qui surviendra sera néfaste. Nous faisons le pari que ce sera moins sombre que ce qui s’est produit jusqu’ici dans la vie de ces gamins, et le pari est là, précisément : miser sur les probabilités pour reconstruire une provision d’optimisme et de confiance, en soi et dans les autres.

Evidemment le risque n’est jamais absent de la vie. Se lever le matin, se mettre en chemin, sont des opérations risquées. Mais une vie sans risque n’est pas une vie, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, c’est de la mort anticipée. Celle de l’imprévu, de la surprise, de la joie. C’est le triomphe du pessimisme, de la peur, de l’inquiétude, et de toutes ces passions tristes qui font de la vie une punition.

Plutôt la mort que la santé qu’on nous propose, répétait un ami qui a vécu.