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Quelques pédagogues de combat

quand les pédagogues d’hier résistaient

vendredi 16 novembre 2007, par

Il est utile de distinguer. C’est quoi un pédagogue ? Quelqu’un qui s’interroge sur l’acte d’enseigner, mais également sur le contexte de l’opération, les agencements institutionnels, et les fins. Nous citons ci-dessous une série de penseurs qui n’ont pas rechigné à la mise en pratique. Rien à voir, donc, avec des gestionnaires ou des défenseurs de la tradition...

Cette documentation est puisée dans l’épilogue de l’excellent ouvrage de Philippe Meirieu, Pédagogie : le devoir de résister (ESF, 2007). Le lecteur soucieux d’en savoir plus activera le lien vers le site internet personnel de P. Meirieu : c’est nourrissant !

IBN KALDUN (1332-1406)

Pédagogue musulman, il observe que les sociétés se pérennisent grâce à une solidarité clanique qui échappe à la raison. Pour autant, il n’hésite pas à affirmer que chaque individu devrait être capable de juger par lui-même du bien fondé des règles de comportement auxquelles il se soumet. Comme il faudrait, pour cela, un apprentissage très long et très complexe, il convient de s’en remettre aux "maîtres" qui, par leur capacité à comprendre l’histoire et les textes, incarnent des idéaux que l’on doit imiter. Chaque sujet, qui doit se former à un "art" spécifique, doit donc être accompagné par un maître qui l’amènera à l’excellence. Les maîtres s’appuient sur des ouvrages qui constituent un soubassement éducatif bien plus important que des institutions trop souvent médiocres et fugaces.

JAN AMOS KOMENSKY (Coménius) (1592-1670)

Pasteur protestant au sein de la communauté des Frères Moraves, attaché à l’instruction du peuple par les livres (les protestants sont les premiers à traduire la bible en langue vernaculaire), il tente de mettre en oeuvre toute sa vie ses idéaux éducatifs. Mais, dans un monde ravagé par la guerre, il sera souvent contraint à l’exil et se consacrera surtout à l’écriture d’une oeuvre monumentale dont l’ouvrage le plus important est la Grande Didactique (1652). Son objectif, "enseigner tout à tous" par des méthodes exhaustives et rigoureuses. Ainsi réalise-t-il les premiers véritables manuels scolaires permettant aux enfants une approche progressive des savoirs. Mais sa perspective ne se limite pas à l’instruction : convaincu que l’accès aux savoirs est inséparable de la formation spirituelle, il jette les bases, pour la première fois, d’une "véritable éducation à la paix".

Johann Heirnich PESTALOZZI (1746-1827)

Disciple de Jean-Jacques Rousseau, il veut "donner des mains" à l’oeuvre de Jean-Jacques afin de "briser les chaînes de l’esprit" et "rendre l’enfant à lui même et l’éducation à l’enfant". Il commence à accueillir des enfants pauvres pour leur donner une formation professionnelle. Après la Révolution française qu’il admire et qui le fait citoyen d’honneur, il entreprend d’accueillir et d’éduquer les orphelins de Stans. Il fonde enfin à Yverdon un institut qui acquerra une grande notoriété. Sensible à toutes les dimensions de l’éducation (la tête, les mains) Pestalozzi considère que l’enfant doit être le sujet de ses apprentissages : son principe essentiel est de tout faire pour que l’enfant mette en oeuvre lui-même sa propre volonté.

Joseph JACOTOT (1770-1840)

Passionné par toutes les disciplines, il enseigne la logique, le droit, le latin, les lettres, les mathématiques, etc. Exilé en Belgique après les Cent Jours, il doit apprendre le français à des étudiants néerlandophones. Or il ignore le néerlandais. Il demande donc aux étudiants, par l’intermédiaire d’un interprète, de travailler eux-mêmes sur une édition bilingue du Télémaque. les résultats sont excellents. Il en tire comme conclusion que "l’homme peut s’éduquer lui-même et apprendre sans maître". Il ne refuse pas d’exercer son autorité et construire des situations contraintes, mais considère que celui qui apprend doit effectuer lui-même une démarche d’apprentissage et s’y impliquer complètement. L’enseignant ne doit pas "expliquer", car il empêche alors l’élève de "découvrir".
La grande leçon de Jacotot c’est que l’instruction, comme la liberté, ne se donne pas : elle se prend.

Jean-Marc Gaspard ITARD (1744-1838)

Médecin, il s’intéresse aux enfants sourds-muets qu’il tente de sortir de la vie végétative dans laquelle ils étaient confinés. Apprenant qu’on vient de découvrir, dans les forêts de l’Aveyron, un "enfant sauvage", il s’efforce de convaincre les autorités médicales de le lui confier : disciple des empiristes - Locke, Helvétius, Condillac - il pense que l’éducation "peut tout" et veut le démontrer. Il va ainsi inventer pour Victor une multitude d’outils pédagogiques afin d’éveiller son intelligence. Il ne parviendra pas à le faire accéder au langage articulé, mais saura créer avec lui une "relation éducative" malgré tout pas exempte de violence.

Jean BOSCO (1815-1888)

Prêtre italien, issu lui-même d’un milieu très pauvre, il consacre toute sa vie à l’éducation des enfants "difficiles". Emu par le sort des jeunes de sa paroisse, il ouvre d’abord un petit foyer qui dispense des cours du soir. Puis il développe une multitude d’autres activités : séances de lecture et de sport, apprentissage professionnel, écoles primaire et secondaire, camps de vacances, etc. En réalité, toute son action est orientée par l’idée, très neuve à l’époque, de prévention : il est convaincu qu’il est possible, par l’éducation intellectuelle et professionnelle, de prévenir la délinquance. Pour cela, il faut que l’éducateur soit exigeant avec l’enfant, mais qu’il agisse avec amorevolezza.

Maria DERAISMES ( 1828-1894)

Considérée comme une "apôtre de l’émancipation féminine", journaliste et conférencière, elle milite pour le suffrage universel, la laïcité, la protection des personnes âgées... En 1876, elle s’exprime sur les droits de l’enfant, sujet qu’elle reprendra à de nombreuses reprises. Elle y stigmatise une société qui "traite l’enfant come un véritable animal dont l’existence dépend de la volonté et du caprice d’un individu, comme un objet dont le possesseur peut se défaire".

Léon TOLSTOI ( 1828-1910)

Le célèbre écrivain russe était passionné d’éducation et créa une école dans sa propriété familiale. Après avoir servi dans l’armée et fait la guerre du Caucase, il avait voulu donner ses terres et ses biens à ses serfs, mais ces derniers les avaient refusés. Frappé par cet événement, il nourrit le projet de libérer les hommes du goût de la servitude que la société leur a transmis et imagine une éducation émancipatrice : fondée sur l’expérience de l’enfant, mais aussi la rencontre directe avec les grandes oeuvres, elle ambitionne de donner à chacun le courage de penser et de comprendre le monde, de favoriser les rencontres et l’unité entre les êtres, de les éduquer à la paix par l’usage de la non violence. Il a édité un célèbre syllabaire, qui a eu un succès considérable en Russie, et milité pour une pédagogie de la liberté, tant pour le maître (qui doit se donner la liberté d’utiliser les méthodes les plus diverses) que pour l’élève (qui doit pouvoir affirmer sa personnalité, développer sa volonté et exprimer sa créativité)

Paul ROBIN (1837-1912)

De fibre résolument anarchiste, révolté par l’injustice et l’hypocrisie de la morale bourgeoise, il arpente l’Europe d’expulsion en expulsion. Ferdinand Buisson, le principal collaborateur de Jules Ferry qui l’a connu lors de son exil en Suisse, le fait nommer inspecteur de l’enseignement primaire. Mais, devant les scandales qu’il provoque, on l’écarte en lui confiant l’orphelinat de Cempuis. Là, Robin met en place la "co-éducation des sexes", développe un enseignement scientifique de très haut niveau, met en place des activités artistiques et sportives. Puis ça part en vrille : thèses eugénistes, thèse du suicide rationnel, ... Il est destitué, puis se suicide...

Pauline KERGOMARD (1838-1925)

Passionnée par l’éducation des jeunes enfants, elle organise la transformation des salles d’asile en écoles maternelles. Jules Ferry lui confie le poste d’inspectrice générale des écoles maternelles en 1881 et elle l’occupe en multipliant les initiatives. Elle remplace ainsi une garderie très formelle en lieu d’enseignement et d’éducation : elle introduit le jeu, dont elle revendique le caractère éducatif, les activités artistiques, le développement physique mais plaide aussi pour l’initiation de l’enfant à la lecture, à l’écriture et au calcul avant cinq ans. Elle n’a laissé aucun ouvrage systématique, mais son influence a été déterminante.

Ferdinant BUISSON (1841- 1932)

Fondateur et président de la Ligue des Droits de l’Homme, prix Nobel de la Paix en 1927, c’est un grand militant de l’abolition de la guerre par l’instruction. Exilé en Suisse sous le Second Empire, il y découvre la pédagogie protestante, avec, en particulier, l’importance de l’accès direct aux textes pour s’émanciper du pouvoir des clercs. Il deviendra directeur de l’enseignement primaire sous Jules Ferry, sera professeur à la Sorbonne et maître d’oeuvre du très important dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire.

Henri MARION (1846-1996)

Elève de l’Ecole normale supérieure, philosophe, il s’implique très fortement dans la mise en place de l’enseignement secondaire pour jeunes filles. En 1883, il occupe la première chaire de "science de l’éducation" à la Sorbonne où il se fait un défenseur des "méthodes actives", tout en prenant ses distances avec les thèses anarchistes. Il est l’objet de très violentes attaques.

Ellen KEY (1849-1926)

Suédoise, elle parcourt l’Europe et visite de nombreux asiles pour enfants abandonnés. Elle est choquée par l’éducation brutale qui y est mise en oeuvre et entreprend une réflexion pédagogique approfondie. Son projet : concilier le développement de la liberté personnelle et la prise en compte de l’intérêt d’autrui. "il faut établir un juste équilibre entre la définition que Spencer donne de la vie (adaptation aux conditions ambiantes) et celle qu’en donne Nietzche (volonté de puissance). Cette tension l’amène à explorer le champ éducatif dans toutes ses dimensions de la famille à la formation professionnelle.

Georg KERCHENSTEINER (1854-1932)

Cet instituteur, puis professeur allemand, combat l’intellectualisme et récuse la distinction entre intelligence manuelle et intelligence pratique. Il est le premier à insister sur le fait que l’acquisition d’un savoir ne peut être attestée que par la mise en oeuvre d’une compétence. A cet égard, il préfigure tout un courant pédagogique. Il développe des "écoles du travail" où sont dispensées simultanément une formation générale et une formation professionnelle de hauts niveaux.

Sébastien FAURE (1858-1942)

Libertaire et dreyfusard, il fonde, en 1904, La Ruche, lieu d’accueil et école pour une quarantaine d’orphelins et d’enfants de prolétaires. Les activités éducatives y sont très variées : jeux individuels et collectifs, sports de toutes sortes, expression artistique, ateliers artisanaux, expérimentation artistique, voyage d’étude, etc. Ses théories expriment, avec une radicalité peu commune pour l’époque, ce qui deviendra les lieux communs de l’Education Nouvelle : "à l’école, l’important n’est pas d’apprendre, mais d’apprendre à apprendre", "la morale se découvre dans la vie même de la classe", "l’école traditionnelle enseigne comme une grand-mère défendant à son fils de se baigner avant qu’il sache nager". Il développe, de mainère particulièrement détaillée, une théorie de l’autorité comme "apprentissage de la pratique de la liberté".

John DEWEY (1859-1952)

Professeur à l’université de Chicago où il fonde une "école laboratoire", John Dewey est un philosophe qui considère que les connaissances des hommes s’enracinent dans leurs expériences. Il n’est pas pour autant un empiriste qui laisserait l’enfant agir sans intervenir. Il croit à la fonction structurante de l’éducation et à l’intervention de l’adulte pour "donner un travail suffisamment stimulant et significatif pour l’enfant". Il faut mettre l’élève en situation, le mobiliser dans le présent sur des activités intellectuelles qui font sens pour lui. Les connaissances doivent être introduites à partir de problèmes à résoudre. "Toute leçon est une réponse". Dewey propose, dans cette perpective, de reconstruire les disciplines scolaires autour des grands secteurs d’occupations humaines sans pour autant renoncer à la formalisation nécessaire des acquis.

Francisco FERRER (1859-1909)

Ouvrier drapier à Barcelone, il s’engage en politique et devient un militant éducatif très actif. D’inspiration anarcho-syndicaliste, il participe, en Espagne, à des opérations clandestines avant de s’exiler en France. Il devient professeur de langue puis hérite miraculeusement d’une somme d’argent considérable que lui lègue une riche admiratrice. Il investit cet argent dans la création d’écoles "alternatives", d’une maison d’édition et de tout un mouvement pédagogique. Franc maçon et athée militant, il base sa pédagogie sur un rationalisme rigoureux. Il met également en place un système d’autodiscipline, de refus des examens et des punitions qui doit mener les élèves à la liberté. Il cherche à supprimer toutes les barrières : entre filles et garçons, entre adultes et enfants appelés progressivement à s’instruire ensemble.

Rabindranath TAGORE (1861-1941)

Ecrivain et prix nobel de littérature, c’est aussi un réformateur social en Inde où il combat farouchement le système des castes. Afin de permettre l’égalité d’accès de tous à l’éducation, il fonde en 1921 une université alternative ouverte sans conditon de statut et de niveau. De plus, toutes les cultures y ont leur place et l’enseignement y est dispensé de manière très ouverte, sans diplôme ni évaluation. Ce projet subvertit radicalement le fonctionnement de l’enseignement supérieur indien et promeut, sur le plan pédagogique, l’idée que l’accès aux savoirs doit être associée à l’accès à la paix intérieure. Apprendre est pour lui une "expérience poétique". C’est à sa rencontre (entre autres) que "Pédagogie Nomade" s’envole ce début 2008.

Anton MAKARENKO (1888-1939)

Instituteur, puis directeur d’école, il fonde des maisons d’enfants pour les orphelins de la guerre civile qui suit la révolution bolchevique. L’histoire de la plus célèbre d’entre elles, la colonie Gorki, est racontée dans le poème pédagogique. Face aux difficultés des adolescents qu’il doit rééduquer, Makarenko considère qu’il faut agir sur l’environnement et créer des conditions de travail et de vie qui permettent de reconstruire un homme nouveau. L’enfant est malade, soignez le milieu, explique-t-il. Le système des détachements impose une discipline dure mais systématise aussi la rotation des tâches (le rôle de chef est assumé par tous de manière tournante, tout le monde doit s’impliquer dans le travail manuel). Un tribunal permet aux enfants de statuer sur les sanctions et de traiter les comportements déviants sans recourir à l’exclusion. Pour autant, l’éducateur reste le garant de l’intérêt collectif.

Viens faire un tour régulièrement : on va étoffer cette rubrique au quotidien...